Vendredi 9 novembre, Libération organise en région Occitanie «A table citoyens !», une soirée de débats sur l’alimentation.
.
La production industrielle des aliments se diffuse dans le monde entier au prix de l’affadissement du goût, d’une succession de drames (vaches folles, etc.), et de menaces sur la santé publique notamment du fait de l’usage des pesticides ou des aléas induits par les OGM. L’alimentation est rationnalisée et formatée en vue d’un rendement économique. Elle n’est plus héritée d’une longue tradition et de ressources locales, mais d’une logique marchande, peu soucieuse d’écologie ou de qualité des aliments.
L’apparence des produits est l’outil de séduction des consommateurs, mais le goût est rarement au rendez-vous. Les abricots ou les pêches sont comme des œuvres d’art sur les étals, mais immangeables, trop durs ou sans aucun goût. A l’inverse, d’autres produits offrent un goût de synthèse plus « vrai » que nature, surpassant celui du fruit réel devenu souvent dans les grandes surfaces de plus en plus fade mais de plus en plus beau, coloré, brillant, artificialisé. Le surgoût de fraises ou de pommes finit par rendre insipide une fraise ou une pomme du jardin pour les papilles des enfants ou des adolescents. Le repas devient un mécano chimique et non plus une cuisine au sens traditionnel. Les transformations subies aujourd’hui par les aliments les rendent insaisissables, difficiles à penser après leur production, leur conditionnement et leur mise en évidence sur le marché.
La symbolique de la table se transforme. La réduction fréquente du repas en une sorte de réflexe alimentaire à satisfaire dans l’urgence, les yeux braqués sur le téléphone cellulaire, favorise la fréquentation des fast-foods ou le grignotage au long du jour. Les membres de la famille ne mangent souvent plus ensemble, chacun se nourrissant à son heure à son retour du travail ou de l’école, réchauffant ses propres plats. Le repas familial n’est plus ce haut lieu de la transmission. La commensalité n’est souvent plus de mise. Le mangeur moderne est souvent solitaire et pressé. Il incarne le pire de la mondialisation, non pas la conjugaison des saveurs mais leur réduction à un minimum reproductible pour une diffusion généralisée. La flânerie jubilatoire du goût n’est pas son horizon.
Par leur passion du fast-food, les jeunes générations créent une nouvelle culture du goût, elles consomment de préférence des produits témoignant de saveurs aux seuils gustatifs bas et standardisés. Elles désapprennent toute subtilité gustative. Saturés en graisses et en sucre, ces aliments comblent des jeunes non éduqués à différentier les saveurs et à équilibrer leur repas. Le goût est donné par les sauces qui « arrachent », « piquent » et des boissons fortement sucrées (sodas, etc.). En ce sens un travail considérable s’impose auprès des plus jeunes pour « rééduquer » leur goût, l’ouvrir à des gustations plus élaborées, moins fondées sur la sensation brute que sur la subtilité des saveurs.
Le goût est une mesure de l’attachement à la vie. On goûte l’existence ou un plaisir physique ou à l’inverse on trouve la vie fade, sans saveur, insipide. La restauration d’une cuisine faite de produits de proximité restaure l’économie locale, la convivialité, renoue avec le fait que manger c’est aussi savourer la présence des autres et retrouver le goût de vivre.