Jean Viard participera vendredi 9 novembre au Forum Libération «A table citoyens !», une soirée de débats sur l’alimentation en région Occitanie. Inscrivez-vous ici.
La campagne, il me semble y avoir toujours vécu. Ce fut le lieu de mes vacances d’enfant. Je m’y suis installé après 68 et, peu à peu, le baba cool marginal s’est intégré au paysage. La FNSEA m’a même invité à intervenir lors de l’un de ses congrès. En vérité, l’amour des campagnes est en France cyclique. L’exode paysan est, lui, continu depuis 1945. On est passé de trois millions de fermes alors à moins de 400 000 aujourd’hui. Des dizaines disparaissent toutes les semaines. Silencieusement. Un paysan se pend tous les deux jours. Surtout des éleveurs laitiers.
Avant, l’avant de «toujours», la paysannerie était la classe dominante
Les villes sont davantage peuplées que les campagnes seulement depuis le recensement de 1932. Avant, l'avant de «toujours», la paysannerie était la classe dominante. Et il est bien difficile d'être une ancienne classe dominante. Le monde ouvrier connaît cela en ce moment. Par période alors, en réaction, il y a des retours à la campagne. Pendant la dernière guerre avec le célèbre slogan «la terre, elle, ne ment pas» et les chantiers de jeunesse. Mais aussi les maquis. Dans les années 50 où les campagnes apparaissent comme un refuge culturel «à qui Paris ou Chicago n'imposeraient rien» selon la formule de l'abbé Martel. Sous le gaullisme, on y multiplia parcs et réserves pour en protéger la beauté, le patrimoine et les écosystèmes… ce qui représente désormais 30% du sol de France. Après 68, on y vint par milliers par «refus de la ville», de sa politique et du capitalisme comme l'écrivit André Micoud. Les Hervieu inventèrent le terme de néoruraux pour «nous» dire.
Les régions sud, puis ouest, commencèrent alors à se repeupler à moins d’une heure des grandes villes. Début de la périurbanisation au soleil. Chaque ferme qui disparaissait devenait résidence secondaire. 11% des maisons en France aujourd’hui sont des résidences secondaires. Et depuis les années 2000, le tissage progressif de la toile et l’étalement périurbain ont relancé le phénomène. La campagne se peuple maintenant plus vite que la ville, mais pas partout. Il y faut du soleil ou de la mer, des villes pas trop loin, des voies de communications et de haut débit, de la beauté et de l’identité, du caractère et des projets, du tourisme mais pas trop, des retraités dynamiques, encore quelques fermes, une nature préservée et un parfum d’écologie. On peut y chasser mais sans tirer sur les vététistes. Les marchés paysans sont bien vus. De bonnes écoles aussi. Des crèches. Une vie locale vivante, vide-greniers et vide-poussettes, pas trop de foulards, quelques réfugiés africains. Des peintres et des écrivains locaux, anciens ou récents. Des festivals. Et de «l’authentique» – prononcé en gonflant le «o» sous la langue.
La Terre ne se remplace pas, il faut la sanctuariser
Demain ? Demain nous vivrons sur une double injonction. La révolution numérique permet tout, partout. Presque partout. Du moins dans les régions touristiques. Car le tourisme a amené le désir des lieux, la valorisation de la nature et de la culture locale. La toile est tendue autour des dix métropoles françaises qui, elles, produisent 61% du PIB. Reste aux campagnes – 40% –, et puis l’économie résidentielle, vacances, tourismes, retraites, santé. Et à l’autre bout de la toile, l’autre point fort, plus vital en réalité : les terres arables. On en a consommé 20% depuis la libération. 1 100 hectares par semaine. Protéger ces terres est plus vital à long terme pour garantir l’avenir du peuple de France sur son sol que de limiter le diesel ou de soutenir la paysannerie. La Terre ne se remplace pas. Il faut la sanctuariser, comme au Canada ou en Suisse. L’avenir des campagnes et de la France est dans son sol. Seul un juge doit pouvoir «au nom de l’intérêt général» sacrifier des terres arables ou négocier des compensations à sa destruction. Alors on garantira vraiment une nation COP 21. Une nation qui produise aliments, vêtements, énergie, beauté et sens. Quant à l’avenir du logement et des entreprises, des routes, il doit se bâtir dans la densification du périurbain. Sauvons la terre, le reste suivra. Et la campagne sauvera la ville.