Dénouement surréaliste dans la bataille judiciaire entre Jean-Marie Le Pen et le Front national. Exclu en août 2015 après une série de propos polémiques, l’eurodéputé s’était tourné vers la justice pour obtenir sa réintégration au sein du parti. C’est jeudi en début d’après-midi que le tribunal de grande instance de Nanterre a rendu sa décision, dont on peine encore à imaginer les conséquences. D’une part, la justice valide l’exclusion de Jean-Marie Le Pen en tant que membre du Front national; mais d’autre part, elle le confirme dans sa qualité de président d’honneur du même Front national.
Apparemment contrasté, ce jugement est en fait une victoire pour l'ex-président du Front national - ce dont témoignait d'ailleurs le ton réjoui de son entourage jeudi. Offert en janvier 2011 à Jean-Marie Le Pen, lors du passage de flambeau à sa fille, le titre de président d'honneur fait en effet de son détenteur un membre de droit de toutes les instances du Front national, notamment la commission d'investiture et le bureau exécutif. Même sans être membre du FN, Jean-Marie Le Pen pourrendre pied au sommet du parti. "La seule chose dont il sera dispensé, c'est de payer sa cotisation", plaisante un proche.
Victoires en série
La décision est d'autant plus favorable au camp "jean-mariste" qu'elle est assortie d'une exécution provisoire : elle devra donc être mis en oeuvre par le FN même si celui-ci décide d'en faire appel, sauf à régler 2000 euros par infraction constatée. Le parti se voit par ailleurs condamné à verser 15 000 euros de dommages et intérêts à son ancien président, et 8000 euros de plus au titre des frais de justice. "C'est du grand n'importe quoi, c'est aberrant, a réagi Marine Le Pen, citée par l'AFP. On peut donc rester président d'honneur d'un parti, sans en être membre, et donc pourquoi pas en étant membre d'un autre parti politique".
Ce rebondissement intervient après plusieurs victoires judiciaires de Jean-Marie Le Pen sur son ancien mouvement. L'octogénaire avait d'abord contesté avec succès la suspension infligée par le FN en mai 2015, suite à des propos polémiques tenus sur RMC et dans le journal Rivarol. Jean-Marie Le Pen qualifiait à nouveaux les chambres à gaz de "point de détail" de la Seconde guerre mondiale, prenait la défense du Maréchal Pétain et jugeait "légitime" de "combattre" la démocratie.
«Un point de détail de l'histoire du FN»
Quelques semaines après sa première victoire, Jean-Marie Le Pen obtenait l'annulation d'une consultation postale des adhérents frontistes, censée le déchoir de son titre de président d'honneur. C'est pour mettre un terme à ce piteux spectacle que Marine Le Pen avait décidé, à la fin de l'été 2015, la pure et simple exclusion de son père. Sans décourager ce dernier de porter à nouveau son cas devant la justice — une obstination manifestement judicieuse.
Devant le tribunal de Nanterre, le 5 octobre, l'avocat de Jean-Marie Le Pen, Frédéric Joachim, s'était appuyé sur un argumentaire de 63 pages pour contester l'éviction de son client. S'y mêlaient considérations politiques et arguments juridiques, tel le fait que seuls quatre des neuf membres du bureau exécutif du FN aient pris part au vote ayant entraîné l'exclusion de Jean-Marie Le Pen ; ou encore que ce dernier, membre de droit de l'instance, aurait dû prendre lui-même part à la délibération. Outre sa réintégration, le cofondateur du FN réclamait au parti deux millions d'euros, en compensation du "grave préjudice" subi par lui.
De son côté, l'avocat du Front national avait plaidé la libre administration des partis politiques. Et argué des nombreux propos polémiques de l'ex-président du parti: "Il a dit pis que pendre du Front national, mais souhaite y être réintégré ? Mais quand on veut jouer les "vigies" du FN, on ne le dénigre pas, on ne fait pas l'apologie de crimes de guerre". Et l'avocat de conclure cruellement : "Aujourd'hui, c'est Monsieur Le Pen qui est devenu un point de détail de l'histoire du Front national". Une formule qui se révèle aujourd'hui bien imprudente.
Reste à connaître la réaction du Front national, où rien n'indique que Marine Le Pen soit disposée à accepter la décision. "Connaissant la présidente, je ne pense pas qu'elle se laissera parasiter par les provocations de son père, témoignait jeudi matin un cadre dirigeant du mouvement. Elle n'est vraiment pas d'humeur à rouvrir le débat". Début octobre, l'intéressée se disait effectivement intraitable : "Le problème avec Jean-Marie Le Pen est qu'il subordonne notre relation père-fille à notre relation politique. Or moi, je ne ferai plus jamais de politique avec lui".