Mercredi, à Paris, Marine Le Pen a inauguré son QG de campagne pour 2017. On y a vu une affiche représentant le numéro 2 du FN Florian Philippot en James Bond, le visage photomonté en Pierce Brosnan qui n’en demandait sûrement pas tant. On a vu un des Tontons flingueurs tirant depuis sa fenêtre, des roses bleues montées sur les silencieux de ses deux calibres. Il y avait aussi Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard, fleur à la main. Bleue, la fleur. Bleue Marine. On a compris le principe.
Il y avait aussi une langue des Stones revisitée et puis, c’est plus problématique, Banksy. Enfin, pas Banksy, un Banksy. Oui, l’artiste «pro-migrants». Chez Marine Le Pen. Le célèbre manifestant au bouquet du street-artist a eu droit comme les autres référents culturels cités plus haut à un détournement. Un poster affiché sur un mur, bien en vue, avec ce petit détail troublant : l’homme ne lance plus un paquet de fleurs des champs comme dans sa version originale mais cette fois une gerbe de roses (bleues, du coup). Quand on voit ça, cela donne l’impression étrange que le britannique, qui jusque-là restait engagé en faveur des réfugiés de Calais, venait tout à coup de retourner sa veste et de prendre fait et cause pour une candidature de l’extrême droite à la présidentielle française. Léger malaise.
Pourquoi des roses bleues, au fait ? Parce que la rose bleue est le symbole choisi par Marine Le Pen pour son logo de campagne. On pense naïvement à un mix entre la rose socialiste et le bleu de la droite, comme si l'élue FN incarnait la synthèse entre les deux blocs. Mais ce n'est pas ça, ou plutôt pas que. La rose bleue désigne en fait l'impossible. Ou plutôt «l'impossible rendu possible», comme l'a expliqué Marine Le Pen. Ce qu'il faut comprendre, ce n'est pas que, elle présidente (l'impossible), Philippot combattra le syndicat du crime en smoking (le possible), encore moins que Banksy fera partie de la première vague d'épinglés de la légion d'honneur mariniste. Plutôt que Marine Le Pen tente de faire accepter l'impensable à l'imaginaire collectif, dans une logique grossière de bataille culturelle : que Banksy (pour ceux qui le connaissent) et elle appartiennent au même monde. Interrogé par le Huffington post sur la question, le conseiller de la présidente FN, Sébastien Chenu, ne dit rien d'autre que cela. «Qu'est-ce qui rejoint Banksy et le Front national ?», interroge le journaliste. Chenu répond : «probablement la liberté, probablement un côté anticonformiste».
Bienvenue dans la «dédiabolisation», cette stratégie enclenchée par Marine Le Pen après son arrivée à la tête du parti pour le rendre «normal», donc «acceptable» aux yeux d'une majorité d'électeurs. Mais il y a autre chose. D'abord parce que le FN new generation n'a pas réellement de codes identifiables qui lui sont propres. Pas encore - quand le Front de son père surfait notamment sur la «nostalgerie», sa fille doit inventer sa propre charte iconographique : «Le Front à un problème. Ses anciens codes, sa charte graphique traditionnelle et ses symboles historiques, ne peuvent plus être montrés, analyse Jean-Yves Camus, le directeur de l'Observatoire des radicalités politiques (Fondation Jean-Jaurès). Il recherche donc un signe de rupture, pour s'orienter vers un électorat et le faire sien.» D'accord, mais lequel ? «Les jeunes, les 18-24 ans, sont une cible prioritaire». Là on pense à cette petite phrase, lâchée en 2015 en pleine campagne pour les régionales, par l'alors candidat en Ile-de-France, Wallerand de Saint-Just : à une journaliste qui lui demande s'il est le candidat des «hipsters», en raison de sa barbe et de ses lunettes vintage à grosse monture, l'homme répond : «non, c'est l'électorat swag que je vise». Pas le genre de phrase qui sort naturellement dans la bouche d'un sexagénaire vieille France.
Banksy, les Stones... provocation pour faire buzz, caution «jeune» du FN ou vraies références culturelles ? «Le comble, c'est que Marine Le Pen a sans doute beaucoup plus écouté les Stones que de la musique classique», s'avance Camus, avant de résoudre l'énigme : «ce qui caractérise cette génération frontiste, ce n'est pas seulement sa fermeté idéologique, c'est aussi son extrême modernité en matière de codes culturels».
Ce n'est pas la première fois que le Front national s'approprie des symboles qui, a priori, lui sont totalement opposés. On se souvient de ces citations de Jean Jaurès un peu partout, dans la bouche de certains candidats ou sur des affiches de campagne, et même dans des mairies FN (Steeve Briois a déplacé le buste du fondateur de l'Humanité du hall de l'hôtel de ville d'Hénin-Beaumont à son bureau). Il y a eu aussi ces tracts, qui expliquaient qu'aujourd'hui «Leon Blum voterait Front national», mais cette fois, c'est plus simple : «A moins d'être un total analphabête politique, personne ne peut croire deux minutes qu'il ne s'agit pas de récupération éhontée», conclut Camus.