Satisfaire à la fois Florian Philippot et Jean-Marie Le Pen : ce défi a été relevé avec audace par le tribunal de grande instance de Nanterre, jeudi. À la grande satisfaction du premier, la justice a validé l'exclusion de l'ex-président du FN, prononcée en août 2015 après une série d'outrances médiatiques. Mais au grand plaisir du second, elle a dans le même mouvement confirmé son titre de président d'honneur du mouvement. Incroyable mais vrai : toujours privé de sa carte d'adhérent, le quasi-nonagénaire retrouve sa place dans toutes les instances dirigeantes du front. Vendredi, les deux parties se félicitaient de ce jugement de Salomon, dont les conséquences restent encore incertaines.
«L'essentiel que nous demandions, c'est-à-dire l'exclusion de Jean-Marie Le Pen comme adhérent, a été validé par la justice, a souligné Florian Philippot sur RTL, vendredi matin. De ce point de vue là, c'est une grande victoire, et je crois que ça y est, cette page est tournée». De son côté, Jean-Marie Le Pen se félicitait par communiqué d'être confirmé «dans ses fonctions de président d'Honneur et les prérogatives qui y sont attachées». Pour son bras droit Lorrain de Saint-Affrique, la décision du tribunal de grande instance de Nanterre représente «un équilibre satisfaisant, sans qu'il y ait besoin d'envisager de nouvelles démarches judiciaires».
Marine Le Pen «vraiment pas d'humeur»
En dépit de la satisfaction de façade affichée par son numéro deux, le FN n'a pas encore exclu de faire appel. «Connaissant la présidente, je ne pense pas qu'elle laissera sa campagne être parasitée par les provocations de son père, témoignait jeudi un cadre frontiste. Elle n'est vraiment pas d'humeur à rouvrir le débat». La direction du parti et ses conseils juridiques doivent se réunir prochainement pour discuter de la suite des événements. Mais un appel ne suffirait pas à suspendre la décision, assortie d'une exécution provisoire.
Dans l'immédiat, le Front national dispose donc de huit jours pour se mettre en conformité avec celle-ci, c'est-à-dire pour informer son ancien président des prochaines réunions auxquelles son titre lui donne le droit d'assister. A défaut, le parti devra s'acquitter d'une amende de 2 000 euros par infraction constatée, s'ajoutant aux 15 000 euros de dommages et intérêts et aux 8 000 euros de frais de justice dus à Jean-Marie Le Pen. Bureau politique, bureau exécutif (le «conseil suprême» du parti), commission d'investiture, commission de discipline… Autant d'instances dans lesquelles le père de Marine Le Pen peut désormais siéger avec voix délibérative.
Un appareil en sommeil ?
Ce retour risque toutefois d'être contrarié par l'ouverture de la campagne présidentielle. Dans les prochains mois, le rôle des instances du FN sera en effet fortement diminué au profit de l'équipe de campagne de Marine le Pen. Une équipe dont ne fait évidemment pas partie Jean-Marie Le Pen, et dont les principaux cadres sont d'une loyauté à toute épreuve envers leur championne. Que l'appareil frontiste soit provisoirement mis en sommeil, et le come-back jean-mariste pourrait être réduit à peu de choses. «On vient de tenir notre bureau politique et la date du prochain n'est pas encore fixée, pas plus que celle du prochain bureau exécutif, détaille le secrétaire général du FN, Nicolas Bay. Quant à la commission d'investiture, elle est presque au bout de ses travaux, il ne reste que quelques validations à faire en début d'année prochaine».
Curiosité supplémentaire, dans cette affaire qui n'en manque pas : président d'honneur du Front national, Jean-Marie Le Pen n'en demeure pas moins président des «Comités Jeanne», une structure de repli lancée au printemps 2015 et censée regrouper… les déçus du FN mariniste. Celle-ci pourrait même présenter ses propres candidats aux élections législatives, en association avec le Parti de la France, un petit mouvement d'extrême droite dirigé par l'ancien frontiste Carl Lang. Un plan auquel la demi-réintégration de Jean-Marie Le Pen ne change rien, promet l'entourage de celui-ci.