C'était un appel au secours. Certes, lancé sur le site de Valeurs actuelles par Marc Etienne Lansade, le maire FN de Cogolin. Mais un SOS tout de même : «J'appelle au secours les journalistes. Ceux du Monde, de Libération. J'en appelle aux journalistes qui ont le sens de l'information et qui ne sont pas que dans le militantisme idéologique», implore l'élu du Var. Pour qu'un frontiste en appelle à Libé, c'est que l'heure devait être grave… Elle l'est, politiquement parlant, si l'on en croit l'édition du 19 novembre de Var Matin. Un article titré «Marc Etienne Lansade : un maire en sursis ?» raconte la démission de deux membres de la majorité FN au conseil municipal, qui s'ajoute aux six départs déjà enregistrés depuis l'élection de Lansade à la tête de la commune en mars 2014.
Si l'on y ajoute les deux conseillers passés dans l'opposition, cela porte à dix le nombre d'élus qui ont quitté les rangs du Front national. Suffisamment pour menacer la majorité de Marc Etienne Lansade, calcule le quotidien, s'appuyant sur le code électoral : il suffirait de deux démissions supplémentaires pour entraîner de nouvelles élections. Sous réserve, toutefois que l'ensemble des élus de l'opposition démissionne également, ce que leur chef de file, Michel Dallari, s'engage à faire dans le même article. Pour Marc Etienne Lansade, c'est l'estocade médiatique de trop, une «crise montée de toutes pièces» : «Ces démissionnaires sont pour la plupart des gens qui ont quitté notre ville ou qui sont partis pour des raisons personnelles, il ne s'agit en aucun cas d'un désaveu !» contre-attaque-t-il lors d'une conférence de presse, entouré de ses élus. Sa décision est prise : désormais, il n'adressera plus la parole à Var Matin, coupable d'«acharnement» sur sa personne.
A voir, en images Cogolin, ville FN «bling-bling» en sursis
Bascule politique
Deux jours ont passé, sous une pluie battante. Dans son bureau de l'hôtel de ville, Marc Etienne Lansade a les yeux rougis et la mèche dissidente. «J'ai dormi deux heures», lâche-t-il en tombant dans son fauteuil. La politique n'y est pour rien : l'orage a frappé fort la nuit dernière, laissant craindre d'importantes inondations. «Fallait vérifier sur le terrain que tout se passait bien.» Son quotidien de maire, Marc Etienne Lansade l'a appris dans l'urgence. Le quadragénaire n'a encore jamais mené de campagne lorsque, fin 2013, la direction du Front national le parachute dans le Sud. Jusque-là, ce Parisien pur jus, qui ferraille dans l'immobilier du côté de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), est simple sympathisant du FN et fréquente ses têtes pensantes.
La bascule politique intervient en 2012, après l'élection de François Hollande. «Je voulais me tailler au Luxembourg, raconte-t-il avec gourmandise. Mais en rentrant d'un séjour là-bas, je me suis dit que, finalement, je ne partirai pas sans m'être battu pour mes convictions.» Il propose alors ses services à Louis Aliot : «Je lui dis que je suis partant pour aller dans la deuxième circonscription de l'Oise. Il me répond "aucun problème, tu vas aller dans la quatrième du Var !"» La prochaine échéance est municipale et le Front national a ses chances dans le Sud.
Du Var, Marc Etienne Lansade connaît surtout Cavalaire, où il a ses habitudes. Dommage pour ce noctambule assumé, ce sera Cogolin. La paisible commune de 12 000 âmes n’a pas les atours aguicheurs de Saint-Tropez, sa voisine à paillettes. Mais le FN y a fait près de 53 % aux dernières élections législatives et la droite locale est usée par ses trois mandats. Costard rassurant et gouaille conquérante, le sémillant parachuté bat campagne en récitant les classiques frontistes - insécurité, baisse des impôts locaux, tradition. Ce sera suffisant : avec 53,09 % des voix au second tour, Marc Etienne Lansade devient l’un des onze maires Front national de France.
L'écharpe tricolore n'y change rien, l'ancien entrepreneur continue à faire ce qu'il sait faire : de l'immobilier. En la matière, Cogolin a quelques atouts. Comme le Yotel, ce terrain boisé de 13 hectares derrière la plage, occupé depuis des décennies par un village vacances : l'élu projette d'y construire 70 000 m2 de logements, soit «quasiment un million par an en termes de fiscalité induite», calcule-t-il. Plus ambitieux encore, son projet pour les Marines de Cogolin : le plus grand port de plaisance du golfe est géré depuis presque cinquante ans par une société via une délégation de service public. La concession arrive à terme en 2019, mais le maire décide d'anticiper l'échéance pour récupérer au plus vite le bébé en régie directe et réaménager les bassins afin d'accueillir des bateaux plus imposants. Et empocher, promet-il, «50 millions dès 2017».
En attendant l'éventuel jackpot, les dépenses de la commune augmentent : les effectifs de police municipale ont quasiment doublé et le budget animation a pris des couleurs. Pour compenser ces dépenses, le maire emprunte : 5 millions d'euros pour le budget 2015. «C'est un flambeur», résume Francis José Maria. Depuis la victoire du Front national, ce retraité cogolinois donne tout son temps à Place publique, une cellule de vigilance citoyenne qui passe au crible les actions de la municipalité. «Il fait des jeux immobiliers sauf qu'une commune, ça ne se gère pas comme ça, déplore-t-il. Quand on aura tout vendu, il se passera quoi ? Il n'y a aucune vision globale, aucune concertation. C'est le flou total !»
Sur le front politique, les démissions en chaîne ajoutent à la confusion générale. «Quand une ou deux personnes partent pour raisons personnelles, d'accord, mais cinq ou six… Les gens se posent des questions», savoure Anthony Garcia. Ce frontiste canal historique a quitté bruyamment le groupe en novembre 2015, dénonçant la gestion «dangereuse» du nouveau maire. Depuis, il siège dans l'opposition au côté d'un autre démissionnaire, Pascal Cordé, applaudissant à chaque nouveau départ. «Au début, on voulait juste freiner les projets mais la donne a changé, on est en situation de force et on veut la démission du conseil municipal. Je préfère un sabordage qu'un naufrage !»
Ambiance glaciale
Michel Dallari, chef de file des adversaires «officiels» du maire au sein du conseil municipal, s'est rangé à cette stratégie après deux années «d'opposition constructive». C'est la diffusion, début novembre, d'un reportage de vingt-huit minutes sur France 3, où Lansade balance des propos plutôt blessants sur la ville, qui a scellé sa décision. «C'est inadmissible pour un premier magistrat, s'énerve-t-il. Lui dit que le sujet a été tronqué, mais ça lui ressemble totalement : quand on le rencontre, il est avenant, mais dès qu'on lui tient tête, il menace !» Justement, l'élu raconte qu'il en a fait récemment : «Le maire m'a fait monter dans son bureau et m'a demandé de faire une déclaration comme quoi je ne démissionnerai pas du conseil municipal en cas de nouveaux départs. J'ai refusé. Il m'a dit que si je voulais la guerre, j'allais l'avoir, qu'il allait mettre des proches de l'ancienne municipalité au placard en disant que c'était de ma faute !»
De fait, cette semaine, l'élu de l'opposition qui jouait le rôle de maître des cérémonies patriotiques pour la ville de Cogolin s'est vu retirer sa fonction. Le maire confirme : «Pour faire plaisir à tout le monde, j'avais donné des délégations à l'opposition. Mais comme je l'ai dit à Dallari, face à des gens qui sont prêts à manipuler le code électoral pour provoquer des élections, forcément, mon comportement change !»
Sans surprise, c'est dans une ambiance glaciale que tous se sont retrouvés le 24 novembre pour une séance du conseil municipal particulièrement tendue. D'autant que les deux derniers de la liste, appelés pour remplacer les démissionnaires, ne se sont pas présentés…«L'un, Manuel Requin, n'a pas pu se libérer, mais il sera là au prochain conseil. Quant à l'autre, Gaëtan Muller, qui vit aujourd'hui en Belgique, il devrait venir en début d'année», assure Marc Etienne Lasade.
A Var Matin, qui s'est étonné de ces absences, le maire réserve une plainte en diffamation «pour l'ensemble de son œuvre». «Après tout ça, ma majorité est ressoudée à mort», clame-t-il avant de prophétiser : «Dans dix-huit mois, quand j'aurai baissé les impôts de 10 % et remboursé tout l'emprunt grâce à mes projets, tous ceux qui m'auront traîné dans la boue seront ridicules. Et là, ce sera un grand moment pour moi.» S'il n'y a pas eu de nouvelles élections municipales d'ici là.