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Libération
Récit

Le Pen souffle le chaud et l’effroi

Après l’attaque violente contre l’Etat de droit et la justice dimanche à Nantes, la candidate a appelé lundi au pied du Mont-Saint-Michel à l’unité nationale.
Au Mont-Saint-Michel, lundi, Marine Le Pen a assuré «vouloir apprendre à nos enfants à aimer la France». (Photo Laurent Troude pour «Libération»)
publié le 27 février 2017 à 20h26

Il y a deux registres sur le piano frontiste. En jouant du premier, le parti présente au public un visage apaisé et rassurant. En préférant le second, il laisse libre cours à ses pulsions radicales, pour le plus grand plaisir de sa base militante. Tout le travail des dirigeants du FN est de choisir l'un ou l'autre selon les besoins du moment, comme vient de le faire Marine Le Pen en deux déplacements dans l'Ouest. Dimanche, la frontiste prononçait à Nantes un discours d'une rare virulence, menaçant d'inévitables représailles qui se joindrait aux «cabales d'Etat» contre son parti. Lundi, c'est en candidate apaisée qu'elle arpentait le Mont-Saint-Michel, appelant à l'unité nationale et invitant «nos amis journalistes» à immortaliser sa petite balade sur les remparts de la citadelle.

«Il faut parfois s'extraire des bassesses politiciennes», a proclamé Marine Le Pen, l'air inspiré, au pied du monument. Un peu plus tôt, une courte allocution l'avait vue jouer sur le registre identitaire auquel le lieu se prête si bien. Pas de mention directe du christianisme, mais l'évocation de «deux mille ans d'histoire», d'un sentiment de «transcendance» et d'un attachement charnel au terreau national. «Nous allons apprendre à nos enfants à aimer la France, a promis la candidate. Il nous faut redevenir une nation de sentiments : si nous ne sommes nation que par la raison, il n'y aura que des Français administratifs.»

Inquiétante mise en garde

Entre Marine Le Pen et ce beau projet, il y a encore une présidentielle et des affaires toujours plus menaçantes : dossier des assistants parlementaires européens du FN, qui a vu la semaine passée la mise en examen de sa cheffe de cabinet, Catherine Griset ; affaire Jeanne, qui va valoir au parti et à deux de ses dirigeants, notamment, un procès en correctionnelle. Lundi, rien de tout cela ne semblait perturber les méditations patriotes de la candidate. «Certains font en sorte que cela ne se passe pas sereinement, a-t-elle simplement déclaré sur les chemins de ronde du Mont-Saint-Michel. Les Français ne sont pas dupes de ces petites manœuvres qui émaillent la campagne.»

La veille, c'est une tout autre Marine Le Pen qui haranguait les 3 500 sympathisants frontistes rassemblés au Zénith de Nantes. Dans l'un de ses discours les plus menaçants depuis le début de cette campagne, la candidate a flagellé magistrats, journalistes et adversaires politiques. Une diatribe dont sera surtout ressortie l'inquiétante mise en garde adressée aux «fonctionnaires à qui un personnel politique aux abois demande d'utiliser les pouvoirs d'Etat pour surveiller les opposants, organiser à leur encontre des persécutions, des coups tordus ou des cabales d'Etat» : ceux-là «devront assumer le poids de ces méthodes illégales, ils mettent en jeu leur propre responsabilité. L'Etat que nous voulons sera patriote».

Même ton contre la presse, envers laquelle de nombreux cadres du FN ont ces derniers temps redoublé d'invectives : «Les médias font campagne de manière hystérique pour leur poulain, Emmanuel Macron, se parent de morale, hurlent à la liberté de la presse dès qu'on les critique, puis pleurnichent d'avoir perdu la confiance du peuple.»

Échange de bons procédés

Si ce retour à la radicalité a ravi l'assistance, il offre aussi un nouvel angle d'attaque aux concurrents de Marine Le Pen. Le Premier ministre, Bernard Cazeneuve, a ainsi dénoncé des propos «inacceptables» de la part de la leader frontiste qui, «en contravention avec les principes de l'Etat de droit», avait refusé la semaine passée une convocation policière. «Elle s'en prend aux médias, aux magistrats et aux fonctionnaires, c'est-à-dire ce qui fait une démocratie, a de son côté jugé le candidat socialiste, Benoît Hamon. Elle prépare un régime d'extrême droite dans lequel tout sera verrouillé par des obligés de ce régime d'extrême droite. Les juges ne seront plus indépendants, les médias seront mis au pas.»

Rien de tel du côté de François Fillon. Entre le candidat LR et son homologue FN, il serait exagéré d'évoquer une trêve. Mais peut-être pas un échange de bons procédés sur les soucis communs aux deux camps, qui se posent chacun en victime du «système» médiatique et judiciaire. Se plaignant de voir ses déplacements perturbés, l'ex-Premier ministre a évoqué dimanche un climat de «quasi guerre civile», dénonçant aussi les violences subies par des cars FN en route vers Nantes. «Certains veulent empêcher Fillon, tout comme Marine Le Pen, de mener campagne, a assuré dimanche son soutien Gérard Larcher. C'est inexcusable.» De son côté, dans un entretien publié le même jour dans la Provence, Marine Le Pen a jugé que l'affaire Fillon avait «assez duré» et qu'il était temps de revenir «aux problèmes qui intéressent les Français». De l'art de plaider pour soi en parlant d'un autre.