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«Marine est au courant de tout», tristes chroniques de l'argent frontiste

Soupçons de comptes en Suisse, d'emplois fictifs, d'escroquerie en bande organisée... Un ouvrage paru mercredi fait le point sur les malversations prêtées au Front national et à ses dirigeants.
Marine Le Pen à Coblence, le 21 janvier, au congrès de l'ENL (Europe des Nations et des Libertés). (Photo Laurent Troude pour Libération)
publié le 15 mars 2017 à 9h50

L'homme s'appelle Jean-Pierre Zablot. Septuagénaire, il vit à Saint-Cloud dans une pièce de dix mètres carrés, dont il n'a plus les moyens de payer le loyer. De 1999 à 2015, cet ancien para fut le chauffeur de Jean-Marie Le Pen. «J'étais mobilisable tout le temps, raconta-t-il. Une journée type, c'était aller chercher le Président à neuf heures du matin et terminer à vingt-deux ou vingt-trois heures. Pas de vacances et pas de week-ends. C'est de l'esclavage moderne.» Il y a deux ans, Jean-Pierre Zablot tombe malade. Hospitalisé, il perd son travail et la petite paye de 2 000 euros, au noir, qui l'accompagnait. L'ancien chauffeur reste sans ressources. Par des moyens détournés, le FN lui fera parvenir quelques aumônes avant de couper les ponts. En janvier 2017, Zablot a porté plainte pour «travail dissimulé». Par la voix de son trésorier Wallerand de Saint-Just, le FN conteste tout – et même que l'homme ait bien, des années durant, exercé son travail de chauffeur.

L'histoire, poignante, figure dans l'ouvrage «Marine est au courant de tout», paru mercredi chez Flammarion et signé par deux journalistes, Mathias Destal (Marianne) et Marine Turchi (Mediapart). Sur près de 400 pages, les deux enquêteurs partent sur la trace de l'argent du Front national – de l'héritage providentiel perçu en 1976 par Jean-Marie Le Pen, qui lui permet de vivre dans l'aisance et de se consacrer à la politique, aux derniers soupçons sur le financement du parti, objet de plusieurs enquêtes.

«Putsch financier»

L’un des mérites de l’ouvrage est de retracer en détail la prise en main du trésor frontiste par un groupe de proches de Marine Le Pen, la plupart passés par les rangs du mouvement radical GUD avant de se reconvertir dans les affaires. Après la catastrophique présidentielle de 2007, c’est un véritable «putsch financier» qu’organisent ces derniers, évinçant ou mettant au pas la précédente équipe – tel l’imprimeur et mécène Fernand Le Rachinel, dont il s’agit de reprendre les lucratives fonctions auprès du FN.

Les nouveaux venus ont pour Marine Le Pen l'avantage de lui être exclusivement dévoués. Et tant pis si leur profil heurte frontalement les impératifs de la dédiabolisation. Si le communicant Frédéric Chatillon, proche d'Alain Soral, transporte avec lui plusieurs exemplaires de Mein Kampf en arabe au retour d'un voyage à Damas. Si l'on se retrouve les 30 avril pour commémorer entre amis et verre à la main la mort d'Adolf Hitler. Si un témoin rapporte qu'«il n'y a pas une soirée où il n'y a pas un salut nazi. Ils ne parlent que des juifs, tout le temps. Quand ils sont entre eux, ils se lâchent complètement».

C’est autour de cette fine équipe que se met en place le système Riwal, du nom de la société de Chatillon. Le principe : d’onéreux lots de matériel de campagne dont l’achat est rendu, en pratique, obligatoire pour les candidats frontistes à partir de 2012. Législatives, municipales, cantonales : à chaque fois, c’est Riwal qui joue les fournisseurs, et l’État qui paie l’addition au nom du remboursement des frais de campagne. L’ouvrage détaille la genèse et les rouages d’un système qui vaudra bientôt un procès au Front national et à neuf autres personnes physiques ou morales.

«C’est quoi ton problème avec le kit ?»

Surtout, à l'instar d'une autre enquête récemment parue, les auteurs doutent sérieusement des dénégations de Marine Le Pen, qui a affirmé aux enquêteurs n'avoir jamais rien su du système en question. Candidat aux européennes de 2014, et désormais brouillé avec son ancien parti, l'eurodéputé Aymeric Chauprade raconte avoir rechigné à acheter le fameux kit de campagne. Cette hésitation lui aurait alors valu un coup de fil «hyper agressif» de la présidente du Front national : «C'est quoi ton problème avec le kit de campagne ?», s'agace celle-ci, témoignant alors un pressant intérêt pour la question.

Le 15 avril de la même année, une information judiciaire est ouverte pour «escroquerie en bande organisée», «faux et usage de faux». Chatillon est alors contacté par son ami Axel Loustau, un autre pilier de la «GUD connection», lequel ignore que la ligne est sur écoute : «Je viens d'avoir Marine, elle est un peu agacée, commence Loustau. Elle me dit [qu'elle] n'était pas au courant.» «Elle est agacée à cause de quoi, je comprends pas, répond Chatillon. Elle est au courant de tout depuis le début.»

«Marine est au courant de tout», de Mathias Destal et Marine Turchi, Flammarion, 408 pp., 21 euros.