Tout à la fois nazillons et bras cassés, dix-huit personnes âgées de 22 à 53 ans comparaissent à partir de lundi devant le tribunal correctionnel d’Amiens. Quatre jours de procès pour comprendre le fonctionnement du «White Wolf Klan», le «clan du loup blanc», qui, entre 2012 et 2014, a tenté d’imposer sa loi dans les environs de Ham, bourgade de 5 000 habitants située au croisement des départements de la Somme, de l’Aisne et de l’Oise. Connu depuis des années pour être un nid à fachos, le coin est devenu la base arrière de Serge Ayoub, alias «Batskin», figure tutélaire de l’ultra-droite, qui comparaît également pour complicité de violences aggravées.
La longue enquête menée par les gendarmes débute en janvier 2013. Au fur et à mesure des interpellations et des gardes à vue, elle permettra de lever le voile sur de nombreuses agressions, dégradations et vols commis par le clan du loup blanc dans la région. Mais c’est un règlement de comptes entre deux groupuscules néo-nazis qui signe le point de départ des investigations.
La scène se déroule le 8 décembre 2012 à Estrées-Mons (Somme), dans le garage de Kevin P., membre du groupe Troisième voie, créé par Serge Ayoub. Cette soirée doit en théorie sceller une alliance avec une deuxième organisation, les Nationalistes autonomes (NA), dont fait partie Clément G. En réalité, il s'agit d'un traquenard. La faute à une altercation, quelques mois plus tôt, lorsque des NA auraient qualifié Ayoub de «sale juif».
Agression au couteau
Dans le garage tapissé de drapeaux néonazis et de portraits d'Adolf Hitler, une trentaine de personnes sont présentes. On boit, on pogote. Soudain, la musique s'interrompt. Les membres de Troisième voie, en surnombre, tombent sur le râble de leurs collègues. Ils cognent dur. Jérémy Mourain, le leader des assaillants, sort un couteau et l'approche du ventre de Clément G., sauvé par son blouson. Entendu en garde à vue, l'homme minimisera les faits, expliquant avoir sorti sa lame pour créer un «choc psychologique» et calmer tout le monde. Kevin P., lui, parlera d'une soirée sur le thème «des années 80». Les gendarmes sont sceptiques : «Au final, nombre des participants étaient porteurs d'armes (gants renforcés, couteau, ceinture en chaîne), ce qui était peu compatible avec ce type d'ambiance.»
L'enquête n'en est cependant qu'à ses débuts et les principaux protagonistes demeurent libres. Le 5 juin 2013, Clément Méric, jeune militant antifasciste, est tué à Paris par des skinheads proches des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), le service d'ordre de Troisième Voie. Les deux groupuscules sont dissous par les pouvoirs publics. Jérémy Mourain, responsable de la section picarde des JNR, n'entend pas en rester là. L'homme, aujourd'hui âgé de 27 ans, décide de fonder le «White Wolf Klan» (WWK). Officiellement, l'organisation n'a rien à voir avec la politique. On est censé y faire de la moto. Sauf que sur les 19 membres recensés, un seul pratique le deux-roues.
Les activités y sont bien plus violentes. L'organisation, inspirée de la série Sons of anarchy, est militarisée : rites d'intégration (se scarifier une croix sur la main gauche), entraînements à la baston, statuts bien définis… Derrière Mourain, le chef, il y a les sergents d'armes, les «street fighters», les voleurs, les «prospect», c'est-à-dire les nouvelles recrues, assignées au rôle de larbins. En guise de mot d'ordre, les loups blancs recyclent le slogan mussolinien : «Croire, combattre et obéir.»
Ratonnades et expéditions punitives
Idéologiquement, le clan picard n'est guère éloigné des obsessions des nostalgiques du IIIe Reich : haine des immigrés, des homosexuels, des gens du voyage. Mourain, qui, selon un des coaccusés, se prend alors pour «le chef de Ham» et ambitionne de «devenir le chef de la Picardie», ne rechigne pas à passer aux travaux pratiques. Pour financer son amour de la cocaïne et du speed, il demande à ses troupes de commettre des larcins dans la région. Braquage de supérettes, de bars-tabac, de boucheries se succèdent, tout comme les siphonnages de réservoirs d'essence.
En janvier 2013, avant même sa constitution, la bande s'en était pris à un bar à chicha de Ham. Selon un participant, «parce que tous les commerces français fermaient et que le commerce maghrébin perdurait». D'autres parlent également de ratonnades ou d'expéditions punitives contre un camp de gens du voyage.
Mais c'est surtout en raison de leurs dissensions internes que les nazillons picards vont finir par tomber. Dès qu'un membre du clan tente de quitter le groupe, les représailles ne tardent pas. C'est ce qui arrive à Laurent L. et Sarah M. en novembre 2013, quand ils voient débarquer à leur domicile plusieurs individus cagoulés braillant : «Sales skins, sale blanc, facho.» Suit un passage à tabac et l'extorsion de divers biens appartenant au couple. L'enquête montrera que les agresseurs sont en réalité des membres du WWK, envoyés par Mourain pour régler une dette de stupéfiants.
«Il aurait dû y passer ce soir-là»
Face aux gendarmes, les «loups blancs» se muent en agneaux prolixes. Christopher L., par exemple, décrit un embrigadement qui tourne mal, jugeant que Mourain lui a «vendu du rêve et ça s'est terminé comme un cauchemar». Et d'évoquer, notamment, les menaces contre sa compagne, s'il venait à quitter le groupe. Un autre parle d'un «enfer», tenu par un «psychopathe».
Un épisode a particulièrement marqué l’histoire du gang picard. La scène se déroule en janvier 2014 sur un chemin de campagne aux alentours de Valenciennes, dans le Nord. Ce soir-là, une dizaine de membres du WWK sont montés pour une expédition punitive.
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La cible ? Cédric F., dont le seul tort est d'être proche d'un ancien du Klan, qui a oublié de rendre le blouson à l'effigie du groupe. Les agresseurs entourent Cédric F. L'un d'entre eux raconte : «On était tous en cercle en train de le taper. C'était notre marque de fabrique, parce que les loups tournent autour de leur proie avant de mordre.» Mourain exhorte ses troupes à «défoncer» l'homme transformé en punching-ball, avant de s'y mettre à son tour.
Plusieurs de ses anciens copains décrivent son air «possédé», ses pouces enfoncés dans les yeux de la victime, sa tentative de lécher le sang sur le visage de Cédric F. Celui-ci, également frappé à coups de batte de baseball sur les testicules, sera finalement transporté à l'hôpital, très lourdement amoché.
Plus tard, au téléphone avec sa copine, Mourain revient sur ce passage à tabac : «Dans ma vie, j'ai fait beaucoup de trucs, mais ça c'était horrible […]. Il a la gueule défoncée, il aurait dû y passer ce soir-là.» En détention provisoire depuis mars 2015, l'ex-leader du clan risque le plus gros lors du procès. Lui et les autres prévenus devront, au total, s'expliquer sur les 35 infractions dont ils sont accusés.
Quant à Serge Ayoub, il devrait, comme il l’a fait face aux enquêteurs, nier avoir commandité le guet-apens du garage d’Estrées-Mons et minimiser son influence sur Jérémy Mourain. Aujourd’hui, «Batskin» vit non loin de Soissons (Aisne), à quelques dizaines de kilomètres de la région où sévissaient les loups blancs. Selon le site antifasciste La Horde, il y a fondé les Praetorians, un club de… motards, en réalité surtout adeptes de concerts de rock anticommuniste, un mouvement musical skinhead d’extrême droite.