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FN : Louis Aliot, un pilier si discret

Vice-président du FN, compagnon de Marine Le Pen, l’eurodéputé accueille la candidate dans sa ville de Perpignan samedi. Mais se tient désormais loin de la scène nationale.
Louis Aliot le 22 avril 2012, soir du premier tour de l'élection présidentielle. (Photo Vincent Nguyen pour Libération)
publié le 14 avril 2017 à 12h17

Louis Aliot, lundi soir, on l’a entendu avant de le voir. «Ce sont des cons !» s’exclamait devant quelques journalistes l’eurodéputé et vice-président du Front national, en marge d’une intervention de Marine Le Pen. Cibles de ce courroux : tous ceux qui voudraient assimiler l’oratrice à son diable de père, après qu’elle eut jugé la France «pas responsable» de la rafle du Vél d’Hiv. Ce style énergique a ses amateurs : ils seront samedi au Palais des congrès de Perpignan, où Marine Le Pen tient l’un de ses derniers meetings avant le premier tour. Élu de la ville et compagnon de la candidate, Aliot introduira le discours de celle-ci. Occasion pas si fréquente d’entendre cette figure historique du FN, que son concubinage et ses ambitions perpignanaises tiennent désormais éloignée des affaires nationales.

«Une histoire française», est-il coutume de sous-titrer certaines sagas. «Une histoire frontiste», faudrait-il dire au sujet de Louis Aliot, 47 ans. Né à Toulouse d’un père ariégeois et d’une mère rapatriée d’Algérie, l’homme rejoint le parti à la fin des années 80, séduit par la verve lepéniste. Lors la scission mégrétiste, dix ans plus tard, sa loyauté lui vaut d’être promu directeur de cabinet du vieux chef. Puis secrétaire général du FN entre 2005 et 2010, avant d’en devenir l’un des vice-présidents suite au couronnement de Marine Le Pen. Il est entre-temps devenu le compagnon de celle-ci, contribuant à cette confusion entre l’intime et le politique si caractéristique du Front national.

Pendant et après la présidentielle de 2002, Aliot fait aussi partie des premiers apôtres de la dédiabolisation mariniste. Comme d'autres, le jeune cadre sort traumatisé de l'immense mobilisation anti-FN de l'entre-deux-tours, suivie d'une lourde défaite de Jean-Marie Le Pen. Pour lui et ses proches, normaliser l'image du parti devient un impératif catégorique, auquel Aliot fixe toutefois un cadre précis. «Il faut être clair sur la dédiabolisation, expliquera-t-il quelques années plus tard. Celle-ci ne concerne que notre présomption d'antisémitisme. Pas l'islam, pas l'immigration : là-dessus, à la limite, il n'est pas forcément mauvais d'être diabolisé.» Lancer le processus, mais en fixer d'entrée la limite : ce funambulisme va bien au personnage, sorte de pont lancé entre l'ancien et le nouveau FN. «Nous sommes une génération intermédiaire, ce n'est pas facile à vivre, reconnaît-il. On sera peut-être la génération sacrifiée, d'ailleurs.»

«Un notable de province»

Au sein du parti, Aliot aura incarné le renouveau mariniste autant que la permanence d'une ligne poujadiste, fidèle au souvenir colonial et à l'ancrage à droite du Front national. Condamnant les propos polémiques de Jean-Marie Le Pen, il s'est pourtant opposé à l'exclusion de celui-ci. «Neuf fois sur dix, lui et moi tombons d'accord, témoigne le très droitier maire de Béziers Robert Ménard, soutien d'un FN à qui il reproche pourtant sa mollesse identitaire et sa tentation étatiste. Aliot est une incarnation de ce FN qui ne se retrouve guère dans le "ni droite ni gauche". Ce n'est pas un apparatchik, mais un notable de province, dans le bon sens du terme. Contrairement à d'autres, il est à l'aise avec les gens et peut se rendre à une féria ou à un match de rugby sans que cela fasse chiqué.» Profil aligné, semble-t-il, avec les attentes de la base frontiste, qui a placé Aliot en deuxième position lors de l'élection du Comité central frontiste en 2014 – derrière Marion Maréchal-Le Pen seulement.

Fort de ses responsabilités et de ce soutien, l'homme aurait pu se faire le porte-parole de la tendance droitière du mouvement, parfois désarçonnée par les orientations de sa présidente. Un rôle dont le Perpignanais ne veut pas plus que la députée du Vaucluse : malgré ses titres, Louis Aliot se tient désormais éloigné de la scène nationale et, le plus souvent, des interventions médiatiques. Des dispositions que certains regrettent au sein du parti : «Le courant ultra-majoritaire du Front est incarné par des personnes qui, pour des raisons personnelles, refusent d'aller à la confrontation», déplore un élu. «Louis a déçu beaucoup de gens, renchérit un autre. C'était une grande gueule qui représentait un vrai courant et n'avait aucune affinité avec Florian Philippot, mais il s'est complètement refermé sur son pré carré.»

«Les états d’âme, on s’en fout»

Ce retrait, Aliot l'explique par ses projets locaux : après deux échecs, il retentera en 2020 de devenir maire de Perpignan. «Les responsabilités nationales, ce n'est pas une fin en soi, évacue-t-il. Si demain on me dit que je suis remplacé par quelqu'un d'autre à la direction du parti, je n'y verrai aucun inconvénient. Mieux : ça m'arrangera.» Bien sûr, il y a autre chose : «Il ne peut pas être au premier plan maintenant que sa compagne dirige le parti, explique le directeur de cabinet de Marine Le Pen, Nicolas Lesage, un ami de Louis Aliot. Le destin des sensibilités, c'est de s'affronter, d'influer sur la présidente, de la faire revenir sur certaines décisions. Il est évident que ni Louis, ni Marion ne peuvent le faire sans dénaturer leur relation avec Marine Le Pen. Louis se concentre sur ce qu'il aime : sa région, les relations avec l'Afrique, l'Outre-mer.»

Une analyse que confirme l'intéressé : «En raison de ma relation avec Marine, nos adversaires se servent de moi pour l'attaquer, et en interne des idiots imaginent pouvoir lui dire un certain nombre de choses à travers moi. Donc il est beaucoup plus confortable et efficace pour moi de ne m'occuper que du local. Quant aux sensibilités internes, aujourd'hui on est combat : les états d'âme, on s'en fout. Si les gens ne sont pas contents, ils s'en vont.» Ces dispositions n'empêchent pas l'élu d'intervenir par petites touches dans l'actualité nationale. Ou d'être rattrapé par elle : au Parlement européen, l'un de ses anciens assistants est soupçonné, comme d'autres, de s'être consacré à des fonctions internes au FN. Tout en étant payé sur les fonds publics : 31 000 euros pour huit mois de travail. Sur cette période, l'homme et son employeur n'auront échangé… qu'un SMS, ont découvert les enquêteurs. Des «bêtises», a réagi Aliot dans la presse, jugeant qu'on ne mesure pas la relation entre un député et son assistant «au nombre de SMS».

De l’élu, c’est aussi le compte Twitter qu’il faut surveiller : pourtant méfiant vis-à-vis des réseaux sociaux, le vice-président du FN s’y autorise de nettes prises de position. «Les caméléons qui se cachent dans nos rangs et profitent de la réussite du FN en ayant des idées parfaitement détestables doivent dégager», a-t-il posté le 15 mars, suite aux propos négationnistes tenus par un frontiste niçois. L’avertissement, ont soupçonné certains, s’adressait aussi à certains proches de Marine Le Pen, prestataires du FN et soupçonnés d’affinités antisémites. «Ces gens-là n’ont pas de responsabilités au Front, ne sont pas au bureau politique, évacue Aliot. Mais s’ils y étaient, alors je me poserais la question d’y rester ou pas…». Que faut-il retenir : la nuance de défi, ou la tentation du retrait ?