D'une élection à l'autre, ou pas ? Lundi, la conférence de presse sur les législatives organisée par le Front national n'a rien dévoilé des intentions de Marine Le Pen, qui a repris la présidence du parti après sa «mise en congé», pour le scrutin des 11 et 18 juin. D'après le secrétaire général du FN, Nicolas Bay, c'est «d'ici la fin de semaine» qu'elle annoncera si elle tente, comme en 2007 et en 2012, de se faire élire députée dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais.
Celle-ci, qui comprend notamment la commune frontiste de Hénin-Beaumont, a accordé à Marine Le Pen plus de 58 % de ses suffrages le 7 mai : de quoi rendre possible son entrée à l’Assemblée. Mais celle qui avait déjà longuement hésité à mener la liste FN des Hauts-de-France lors des régionales de 2015 n’est pas sortie de son silence depuis sa défaite face à Emmanuel Macron - sauf pour regretter, dans un tweet, le retrait de la vie politique de sa nièce Marion Maréchal-Le Pen.
Crédit entamé. Au sein du parti, les avis sont partagés sur sa possible candidature. «Si elle ne se présente pas, si elle renonce à incarner la cheffe, ce sera une faute», juge sévèrement un élu régional. D'autres l'incitent au contraire à observer un prudent retrait : «Elle ne devrait pas y aller, et je le lui ai dit, lance un proche. On ne peut pas mener toutes les batailles. Et puis, être à l'Assemblée, ce serait renoncer au Parlement européen. Or c'est parce qu'elle siège à Strasbourg qu'elle a pu interpeller directement Hollande et Merkel.» Et notre interlocuteur d'ajouter ce curieux argument : «En plus, l'Assemblée, c'est très exigeant, il faut bloquer trois jours à chaque fois pour le travail en commission…» Quitter le confort du Parlement européen pour un long et stérile combat dans l'opposition : la perspective a effectivement de quoi faire hésiter Marine Le Pen. Elle représenterait en outre une sorte de pari, le nombre et la qualité des futurs députés FN restant à déterminer. L'élue serait enfin plus isolée à Paris qu'elle ne l'est à Strasbourg, où son parti a pu constituer une alliance avec plusieurs mouvements étrangers. Mais en interne, certains voient dans sa candidature le seul moyen de récupérer, auprès de la base frontiste, un crédit entamé par le débat télévisé raté du 3 mai. Directrice en 2007 de la campagne de son père, et tenue responsable de son médiocre résultat, Marine Le Pen s'était rachetée un mois plus tard en étant la seule candidate FN à atteindre le second tour des législatives.
Lundi, c'est au seul Nicolas Bay qu'est revenu d'évoquer les autres candidats frontistes. Nombre de dirigeants, dont lui-même et le vice-président Florian Philippot en seront - ce qui, en cas de succès groupé, ne serait pas sans conséquences sur le groupe FN au Parlement européen dont beaucoup sont membres. Sur une vingtaine de circonscriptions, les candidats FN ne seront dévoilés que plus tard dans la semaine : il pourrait s'agir en partie de «figures d'ouverture», selon Bay, qui n'a pas donné plus de détails lundi. Sans préciser non plus les objectifs du parti, il a souligné que Le Pen avait, au second tour de la présidentielle, dépassé les 50 % dans 45 circonscriptions, et s'était située entre 45 % et 50 % des voix dans environ 70 autres.
En dépit des rodomontades de certains de ses orateurs, il n'est pas encore acquis que le FN sera à l'Assemblée «le premier opposant» à Emmanuel Macron. Il lui faudra pour cela disposer d'un grand nombre d'élus, ce qu'il n'a jamais réussi à faire via le scrutin majoritaire : il avait fallu un bref retour au scrutin proportionnel pour expédier 35 frontistes dans l'hémicycle, entre 1986 et 1988. Depuis, il n'a jamais fait mieux que les deux députés élus en 2012 : Gilbert Collard, d'ailleurs non encarté, et qui cherchera la réélection dans le Gard, et la jeune retraitée Marion Maréchal-Le Pen, remplacée dans le Vaucluse par son suppléant Hervé de Lépinau. Pour laver l'échec de la présidentielle, l'objectif minimum du FN sera de constituer un groupe à l'Assemblée, donc de faire élire 15 députés au minimum - en association, peut-être, avec le mouvement Debout la France (DLF) de Nicolas Dupont Aignan, soutien de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle.
Lundi matin, ce dernier a toutefois confirmé que son mouvement et le FN partiraient désunis au premier tour des législatives. «Si Marine Le Pen a perdu, c'est peut-être parce qu'elle n'a pas assez infléchi son programme, a-t-il déclaré sur RMC, évoquant notamment la question de l'euro. Il faut tirer les leçons d'une défaite : au premier tour, il y aura deux partis. […] Au second, dans chaque circonscription, selon qui est en tête, il y aura des désistements au cas par cas.»
Querelles. De son côté, le FN a confirmé qu'il présenterait un candidat face à Dupont-Aignan : de quoi compliquer la tâche du maire d'Yerres (Essonne), arrivé seulement troisième au premier tour de la présidentielle dans la circonscription, derrière Macron et Mélenchon. Et si l'un et l'autre camp évoquent une entente de second tour, difficile aujourd'hui de dire ce qu'il reste de l'«alliance patriote et républicaine» conclue dans l'entre-deux-tours par Marine Le Pen et le candidat de Debout la France. Tous deux avaient d'abord envisagé des désistements réciproques dès le premier tour dans plusieurs dizaines de circonscriptions. Certains candidats FN avaient d'ailleurs vu leur investiture suspendue pour faire de la place au partenaire. Mais la tentative s'est brisée contre les querelles internes de DLF. Selon Ipsos, seuls 30 % des électeurs de Dupont-Aignan ont choisi Marine Le Pen au second tour. Et samedi, un conseil national de DLF a révélé les divisions des cadres du parti. Entre la première véritable alliance de l'histoire du FN et l'avenir de son propre parti, Dupont-Aignan a choisi.
Photo Albert Facelly
PHILIPPOT S’ÉMANCIPE
Selon l’Opinion, le vice-président du FN va créer une association : Les Patriotes. Logée au sein du parti, elle entend «défendre et porter le message de Marine Le Pen» en s’adressant aux souverainistes de tous bords, y compris aux membres de Debout la France. Un premier pas vers la sortie ? Florian Philippot s’en défend, mais le geste n’est pas anodin au moment où il est en difficulté au FN après la campagne ratée de Le Pen et son intransigeance sur la sortie de l’euro.