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Analyse

Front national : Marine Le Pen, le désordre après le KO

Lestée de sa débâcle électorale, la présidente du FN fait sa rentrée ce week-end, assaillie par un Philippot qui frôle la dissidence et les critiques internes sur sa campagne élyséenne ratée.
A Ennemain (Somme), lors du dernier meeting de campagne de Marine Le Pen, le 4 mai. (Photo Albert Facelly)
publié le 7 septembre 2017 à 20h26

On ne l'a pas entendue de l'été, si bien que d'anciens membres du FN, désormais en disgrâce, commençaient à fantasmer son éventuel retrait de la vie politique. A tort. Marine Le Pen est de retour. La dirigeante frontiste fait sa rentrée ce samedi à Brachay, petit village de Haute-Marne où elle a ses habitudes depuis 2014. «Reposée et combative», font savoir ses proches, en écho à l'état d'épuisement que la dirigeante frontiste a connu à la fin de la dernière séquence électorale. La députée est entre-temps partie en vacances, dans les Pyrénées-Orientales, et a «pris le recul nécessaire», nous dit-on, s'éloignant un temps de la «courtisanerie» qui, ces derniers mois «la coupait du réel» : «Pendant la présidentielle, on fait avec les nécessités du moment, et Marine s'est un peu sortie du parti.» De source interne, elle aurait finalement pris conscience de l'importance de la déception liée à un score moins haut qu'attendu au premier tour de la présidentielle, et surtout à sa prestation au débat, qu'elle a considéré «incontestablement ratée», mais que d'aucuns qualifient de «catastrophique».

Guerre de positions

La «phase de réflexion» passée, Marine Le Pen revient avec un parti en pleine refondation, et un agenda chargé, celui de la «transformation profonde» promise par la dirigeante frontiste au soir du 7 mai. Il y a eu un séminaire mi-juillet, dont il n'est pas ressorti grand-chose, à part que Marine Le Pen y a réaffirmé la ligne «ni droite ni gauche» qu'elle défend depuis cinq ans. Viendra, fin septembre, une consultation interne à l'attention des adhérents FN, notamment sur la ligne future du Front et éventuellement sur un changement de nom, entre autres choses. Il y aura aussi, le week-end du 1er octobre, l'université des élus, à Poitiers, puis le congrès «refondateur», en mars 2018. Si le parti n'a pas explosé d'ici là.

Car tout l’été a été le théâtre de querelles ouvertes. Parfois à l’apparence anodine, parfois beaucoup plus violentes, mais qui révèlent une intense guerre de positions. Le débarquement récent de Sophie Montel, une très proche de Florian Philippot, de la présidence du groupe FN en région Bourgogne-Franche-Comté, décidé par Marine Le Pen, a moins ressemblé à une simple sanction à l’encontre d’une élue qui n’a pas sa langue dans sa poche qu’à un avertissement à l’égard du vice-président du FN.

Quelques semaines auparavant, Sophie Montel était devenue la vice-présidente de l'association Les Patriotes, lancée par le «numéro 2» du Front national en pleine campagne pour les législatives. Une décision vécue par beaucoup comme une provocation au sein d'un parti archicentralisé qui ne connaît pas les tendances. A minima une déclaration d'indépendance de celui qui, jusque-là, menait la stratégie frontiste, mais menaçait de quitter le parti si des sujets pour lui essentiels, comme la sortie de l'euro, venaient à être abandonnés du futur programme «patriote». Depuis, Montel n'a cessé d'expliquer que Les Patriotes, qui revendiquent 2 000 adhérents, n'était «pas un parti politique» ni une rampe de lancement pour Florian Philippot, que son objectif n'était autre que de faire la promotion du programme frontiste, et de rassembler au plus large. Mais la chose ne passe toujours pas, surtout du côté de ceux qui attribuent à «la ligne Philippot» la douche froide de la présidentielle.

L’ombre de la scission

Selon le journal l'Opinion, Marine Le Pen aurait récemment suggéré au vice-président du Front national de quitter la présidence des Patriotes, manière de calmer le jeu. Mais ce dernier ne l'aurait pas écouté. Ceux qui sont convaincus que la lune de miel entre les deux est désormais consommée y ont vu un indice. Un de plus : Florian Philippot était jeudi soir l'invité du JT de LCI en même temps que Marine Le Pen passait sur celui de TF1, comme un parasitage en règle.

La situation est telle qu'elle évoque à certains observateurs le psychodrame des rapports qu'ont pu entretenir Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret avant la scission de la fin des années 90. Même si des cadres haut placés au Front tentent de tempérer la crise en réduisant ces tensions à des «querelles d'ajustement». Et en mettant cette cacophonie sur le dos d'une culture interne où les clivages sont étouffés et chaque nuance, vite interprétée comme une menace.

Ligne brouillonne

La réalité est que la présidentielle manquée a laissé des traces, et les rancœurs qui se sont développées ces dernières semaines ont bien fracturé le parti en deux idéologies distinctes : d’un côté ceux qui, comme Philippot, jurent encore que la souveraineté monétaire doit être l’alpha et l’oméga de la promesse frontiste, de l’autre ceux, de plus en plus nombreux, qui sont prêts à un recul stratégique sur la question de la sortie de l’euro et appellent de leurs vœux à un «recentrage» stratégique à droite. Cette guerre s’est illustrée cet été, notamment avec des discours contraires de Bay et Philippot par médias interposés, ce qui a donné l’impression d’un parti à la ligne brouillonne. Problème que va devoir régler une bonne fois pour toutes Marine Le Pen, si, comme elle l’a martelé ces derniers jours, elle veut que le FN devienne la première force d’opposition.

C'est qu'entre-temps La France insoumise a occupé le terrain tout l'été, si bien que son leader apparaît désormais dans les sondages d'opinion comme plus à même de s'opposer au gouvernement que la cheffe frontiste. Au FN, on parie sur un essoufflement. Laisser le champ libre à Mélenchon ces dernières semaines aurait même été une stratégie mûrement réfléchie. Louis Aliot : «On a vu que les Français n'étaient pas très réceptifs pendant l'été, tous partis confondus, car ils sont sortis de l'année présidentielle saturés par la politique. Mélenchon, lui, a fait de l'agitation médiatique. Maintenant, nous, on va reprendre la main sur les sujets d'actualité.» Ce qui doit être fait à Brachay.

Ensuite, Marine Le Pen compte se lancer dans un tour de France en douez étapes qui débutera fin septembre pour aller à la rencontre des militants «sans passer par le filtre des cadres», selon un proche. Il s'agira de réengager le dialogue, mais aussi de faire dans le pédagogique. Le parti entend se «restructurer au niveau local» et s'appuyer sur sa force militante pour gagner en crédibilité et en voix : «La politique, ça se fait en discutant avec les électeurs. Quand on est connu et identifié comme sérieux au niveau local, ça finit par payer sur le combat national», souligne un cadre. Signe que c'est bien à la tête du parti que réside le problème.