Elle a fini par «prendre ses responsabilités»… et humilier son numéro 2. La présidente du Front national, Marine Le Pen, a annoncé mercredi soir la dégradation de Florian Philippot, jusqu'à présent chargé de la stratégie et de la communication du parti d'extrême droite, au simple poste de vice-président, qu'il détenait déjà. Réduisant cet ancien proche conseiller de la reine dans un rôle de figurant. Il est coupable selon elle de n'avoir pas quitté sa place de président de l'association Les Patriotes, malgré ses demandes, et d'avoir fait preuve de «conflit d'intérêts».
«Florian Philippot, sollicité par mes soins, n'a pas répondu à la demande de mettre un terme au conflit d'intérêts résultant de sa double responsabilité de vice-Président du Front national chargé de la stratégie et de la communication et de président de l'association politique "les Patriotes." J'ai pris la décision de lui retirer sa délégation à la stratégie et à la communication. Sa vice-présidence sera, à compter de ce jour, sans délégation», a-t-elle écrit mercredi soir dans un communiqué.
La structure Les Patriotes a été créée par l'énarque entre la présidentielle et les législatives, et nourrissait depuis les rancœurs de certains cadres proches de la dirigeante frontiste. Certains voyant dans l'initiative de Florian Philippot une provocation après la défaite du 7 mai, dans un parti qui ne connaît pas les courants, a minima une déclaration d'indépendance de la part de celui qui a largement pesé sur la stratégie ces dernières années. D'autres l'accusant encore de «semer le trouble et la jouer solitaire», alors que le FN engage en cette rentrée politique une profonde «refondation», nécessaire après l'échec de la dernière séquence électorale.
«Dédiabolisation, piège à cons»
Marine Le Pen devait aussi profiter de ce mois de septembre pour engager son parti dans une période de reconquête, censée lui permettre de ravir à Jean-Luc Mélenchon la place de première opposante au gouvernement d'Emmanuel Macron, qu'elle estime lui revenir naturellement depuis sa qualification au second tour de la présidentielle. C'est en tout cas ce qu'elle répétait partout dans les médias. Mais, depuis son retour de vacances, le 9 septembre, à Brachay, les débats ont surtout tourné autour de la place de Florian Philippot dans le parti : beaucoup au sein du FN, cadres comme militants, imputent au souverainiste la débâcle présidentielle, avec une stratégie trop «tournée à gauche» et donc peu à même d'attirer les électeurs de François Fillon déboussolés par la débandade de leur champion. De trop s'accrocher à ses thèmes de prédilection, sortie de l'euro en tête, mais aussi les questions sociales qui ont, estime la branche «droitière» du FN, moins leur place dans la future ligne politique frontiste que la sécurité et l'immigration. «Ils ont perdu la présidentielle, il fallait bien un bouc émissaire, une brebis galeuse», résume un cadre frontiste.
Lundi, lors d'un bureau politique houleux, Marine Le Pen a donc (re)demandé à Florian Philippot de quitter la présidence des Patriotes pour «lever les ambiguïtés» quant à ses intentions politiques. Mais Florian Philippot, qui dénonce dans les attaques contre Les Patriotes un «prétexte» de plus de ses adversaires pour le faire tomber, lui a une nouvelle fois opposé un refus. «Cela fait cinq ans qu'on me fait des coups sans arrêt. Quand j'aurai quitté Les Patriotes, ça sera quoi ? La couleur de ma cravate ?», a-t-il dit, selon un témoin. Réponse de Marine Le Pen : «Si tu dois partir, le Front national n'en mourra pas. J'en ai vu d'autres.»
À lire aussiEntre Le Pen et Philippot, la ligne est coupée
Depuis, le premier cercle «philippotiste» savait que les heures de Florian Philippot à son poste au Front national étaient comptées : «les jeux sont faits, reste à voir les modalités» ; «ce n'est plus qu'une question d'heures» ; «c'est acté», confiaient ces derniers jours ses soutiens à Libération, alors que la présidente du FN et son numéro 2 se renvoyaient la balle par médias interposés… la première insistant sur ses demandes, le deuxième continuant sur sa ligne «je ne vois pas où est le problème».
Mercredi, quelques cadres haut placés au sein du Front national laissaient encore entendre que Florian Philippot allait finir par rentrer dans le rang, mais Marine Le Pen, elle, avait anticipé le refus de son ancien proche conseiller. Dans l’après-midi, elle a réuni plusieurs de ses proches conseillers et membres du comité central du FN, le parlement du parti, dont Jean-François Jalkh, vice-Président du FN chargé des affaires juridiques, pour étudier les suites à donner à un possible débarquement de Philippot.
Ultime bravade, mercredi soir, sur CNews, alors que Louis Aliot, autre vice-président du Front et compagnon de Marine Le Pen, avait annoncé dans la journée s'être mis en retrait de son association le Club Idées & Nation, dont il est président depuis 2010 - façon de montrer la voie à Philippot en le privant d'arguments de défense -, l'accusé n'a lui pas bougé d'un iota. «Je n'ai pas l'intention de quitter la présidence des Patriotes, ni de renier mes idéaux. Si on doit me démettre, il faudra le faire, j'en serais désolé.» Parlant encore d'un «faux procès», dézinguant ceux qui l'ont critiqué ces deniers jours, dont le maire de Béziers Robert Ménard, et les anciens megrétistes qui ont aujourd'hui les faveurs de Marine Le Pen. «Je veux changer les choses, j'y crois trop, je ne suis pas venu pour qu'on dise aux électeurs "dédiabolisation, piège à cons"». «Je vois Marine qui laisse faire», mais «on n'est pas dans une monarchie de droit absolu», laissant entendre que sa sanction serait un fait du prince. Au sujet des Patriotes : «si le parti fait un drame là-dessus, c'est que le Front national est mort».
«Paillasson»
Florian Philippot n'avait de toute façon plus le choix. Courber le dos aurait été synonyme pour lui d'humiliation, et aurait donné l'image d'un vice-président soumis au bon vouloir du chef et aux critiques de ses adversaires, celle «du paillasson de service, sur lequel on s'essuie les pieds», selon un proche. Accepter une marginalisation de fait. La décision de Marine Le Pen de ce soir ne dit pas autre chose : Philippot perd les responsabilités qu'il pensait lui revenir de droit, à la faveur sans doute du secrétaire général du Front national, Nicolas Bay, nouveau champion de la frange «droitière» du Front national, qui vient d'avoir la tête de son ennemi.
Certains observateurs noteront que Florian Philippot a décidé d'assumer son indépendance vis-à-vis de la ligne officielle du Front, dont il s'est exclu lui-même. L'homme, qui compte parmi les cadres FN les plus impopulaires en interne, pensait pouvoir bénéficier d'une exclusion et s'épargner ainsi un vote négatif au prochain congrès du FN, en mars, à moins qu'il ne décide lui-même de quitter le parti, ce qui n'est pas encore exclu. «Il cherche à se victimiser ou à provoquer la rupture pour s'éviter d'être mal placé», persiflait hier un cadre du FN hostile. L'énarque pourrait profiter du bruit médiatique que son départ pourrait susciter, ce qui donnerait donner du FN l'image d'une terrible régression - Florian Philippot l'a qualifié sur CNews d'«absolument terrifiante» et «sectaire» -, celle d'un parti replié sur lui-même, hostile au débat… et donc incapable de gouverner.
À lire aussiPour Philippot, l'humiliation ou l'exil
Mais il va devoir prendre ce choix lui-même. Marine Le Pen n’ayant pas pris la décision ce jour de le suspendre. Sa mise à l’écart aurait pourtant eu le mérite de clarifier officiellement la ligne frontiste avant même la nomination du successeur de Philippot au poste convoité de délégué à la stratégie et à la communication, et définitivement cette frange «droitière», désormais majoritaire au sein du parti, et incarnée par l’ex-mégrétiste Nicolas Bay.