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Libération
Enquête

Marseille, nouveau terrain d’affrontements entre l'Action française et les antifascistes

Occupations de rue, menaces… L’arrivée des antirépublicains dans un quartier traditionnellement antifasciste provoque troubles et affrontements. La situation pourrit, les pouvoirs publics se renvoient la balle et les riverains désertent les lieux.
Des tags et les traces d'une explosion artisanale sur les façades de la rue Navarin, dans le VIe arrondissement de Marseille. (Photo Maïa Simon)
par Marius Rivière
publié le 13 octobre 2017 à 15h32

Il est 4 heures du matin, dimanche 30 juillet, lorsqu'une explosion trouble le sommeil des habitants de la rue Navarin dans le VIarrondissement de Marseille. Cette explosion provoquée par une «bombe artisanale de très faible puissance», selon la description de la police, endommage la porte blindée du numéro 14 : c'est là que s'est installée l'Action française. En 2014, le groupuscule monarchiste s'est établi à Marseille dans le quartier de la Plaine, fief historique de plusieurs organisations anarchistes et antifascistes, avant d'inaugurer un autre local dans la région, à Aix-en-Provence cette fois.

Au lendemain de l'explosion, l'Action française dénonce sur sa page Facebook «la violence exercée impunément par les groupuscules d'extrême gauche». Elle attribue la responsabilité de l'attentat au Front révolutionnaire antifasciste de Provence (Frap). Contacté par Libération, ce dernier n'a pas souhaité commenter cette explosion, précisant seulement que «si l'Action française désigne le Frap comme responsable, c'est parce que notre organisation est en première ligne contre les fascistes».

Depuis leur arrivée, l’Action française Provence, qui tient ce samedi sa réunion de rentrée, assure avoir retrouvé plusieurs balles de kalachnikov dans sa boîte aux lettres. Le local a aussi été tagué et attaqué. Des mobilisations pourraient d’ailleurs se tenir ce samedi. Les militants le savent : ils ne sont pas les bienvenus dans le quartier.

Plus prompte à dénoncer les violences du camp d'en face que celles de ses propres membres, l'Action française est néanmoins loin d'être une organisation pacifiste. Antirépublicains, monarchistes, ses membres ne se contentent pas de commémorer la mort de Charles Maurras. Lorsqu'ils ne tractent pas pour «l'avènement d'un projet capétien pour la France», ils font le service d'ordre d'Alain Soral ou de Stéphane Ravier, le maire FN des XIIIe et XIVarrondissements, surnommé le «dictateur nord-phocéen» par ses adversaires. Le groupuscule l'assume, d'ailleurs : «Lorsqu'on nous attaque, on se défend.»

Agressions en série

C'est un fait, plusieurs de ses membres sont adeptes du coup de poing, et parfois même plus. Logan Alexandre Nisin, par exemple (Edouard Massalia sur Facebook), un homme de 21 ans, ancien militant de l'Action française Provence et du Mouvement populaire Nouvelle Aurore (MPNA), mouvement se revendiquant du parti néonazi grec Aube dorée. Au début du mois de juillet, soupçonné de vouloir commettre un attentat, il est arrêté. Sur l'une de ses pages Facebook, dédiée au terroriste norvégien Anders Breivik, on pouvait lire : «Rebeus, blacks, dealers, migrants, racailles, jihadistes, si toi aussi tu rêves de tous les tuer, nous en avons fait le vœu, rejoins-nous !» A son domicile, les policiers retrouvent deux fusils et un pistolet. Nisin a depuis été mis en examen pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste».

Autre militant, Jérémie Ferrer, passé avant l'Action française par plusieurs groupuscules d'extrême droite : le Front national de la jeunesse (FNJ), d'abord, puis les Jeunesses identitaires ou encore le Lys noir. Avec ce CV déjà bien chargé, il s'est aussi trouvé en 23e position sur la liste de Stéphane Ravier aux municipales de 2014. On l'aperçoit d'ailleurs lors de la soirée électorale. Interviewé par France 3 après le scrutin, l'élu frontiste expliquait : «Les militants de l'Action française sont exemplaires. […] J'assume les soutiens qui sont les miens. J'ai été très heureux et très fier de ces jeunes gens…»

Loïc Delboy lui, n'est pas membre direct de l'Action française mais a souvent fait partie du service d'ordre – on l'aperçoit notamment dans une vidéo publiée par l'Action française Provence pour la commémoration des émeutes antiparlementaires de 1934 – il est le responsable français des Blood & Honour, un groupuscule néonazi. Il a été arrêté en mars 2016 pour détention d'armes. Et l'on pourrait également parler d'Anthony Mura – présent lui aussi à la soirée électorale de Stéphane Ravier en 2014 – qui partage notamment sur sa page Facebook des unes détournées de Charlie Hebdo : «Shoah Hebdo».

L'an dernier, des étudiants de la faculté Saint-Charles ont été agressés durant les manifestations contre la loi travail. Et au mois de mai dernier, un lycéen de 17 ans a violemment été frappé par quatre membres de l'Action française après un tractage. Bilan : un coquard, une arcade sourcilière et une oreille ouvertes. Sur la page Facebook d'Action française Provence, voici comment le groupe justifiait cette agression : «Nous avons répondu avec fermeté aux agressions pitoyables de la bourgeoisie, pseudo-communiste et révolutionnaire, de quelques lycéens en manque d'adrénaline et d'insolence.»

«Sale rouge»

Autre affaire, plus grave cette fois, sans que l'on sache s'il existe un lien avec le groupuscule : Hazem El Moukaddem, militant antifasciste qui a réalisé un doc sur cette mouvance, a, lui, été poignardé à son domicile. Il raconte : «Deux individus casqués ont tapé à ma porte, j'ai entendu le bruit d'une matraque télescopique, j'ai frappé en premier, ensuite ils m'ont mis une dizaine de coups de matraque puis quatre coups de couteau.» Il s'en est sorti avec de sérieuses plaies mais aucun organe vital n'a été touché, par miracle. S'il n'a pas pu reconnaître ses agresseurs, il se rappelle qu'ils l'ont attaqué au cri de «sale rouge». Où en est l'enquête ? Il n'en sait rien : «La police n'a pas pris la peine d'interroger une personne membre d'une organisation d'extrême droite marseillaise. Du sang d'un de mes agresseurs était dans l'appartement, personne n'est venu en prélever un échantillon.»

Sur YouTube, une vidéo publiée par des membres de l'Action française identifie clairement plusieurs antifas marseillais, dont Hazem Moukadem. La «bombinette» du 30 juillet serait-elle un avertissement, une vengeance ? «Honnêtement, à qui profite le crime ? C'est une action ridicule : le local n'est pas endommagé et ce n'est pas signé. Par contre, ça braque les projecteurs sur nous. Pour moi, il s'agit de quelqu'un en manque de reconnaissance», explique Moukadem.

Jointe par Libération, l'Action française nous a d'abord promis une entrevue, mais n'a finalement plus donné suite à nos appels. Dans un entretien accordé au site Boulevard Voltaire (cofondé par Robert Ménard), Anastasia Palmieri, porte-parole du groupe royaliste, ne craint pas l'hyperbole : elle parle «d'une violence hallucinante en train d'émerger» et dénonce «l'impunité des groupes d'extrême gauche qui vont brûler des flics lors des manifestations contre la loi travail». C'est son mari, Jeremy Palmieri, qui est identifié comme gérant de la SCI le Cochonnet, et propriétaire du local du 14, rue Navarin.

Et les riverains, dans tout ça ?

Les pouvoirs publics, eux, semblent incapables d'agir. La préfecture et la mairie se refilent la patate chaude. «Ce n'est pas de notre domaine de compétences, il s'agit d'un bail privé, pas d'un local de la mairie», indique-t-on à la municipalité. La préfecture, elle, assure être bien au courant du problème : «S'il n'y a pas de plainte, on ne peut rien faire, à part interdire des manifestations dans le cadre de l'état d'urgence.»

Patrick Mennucci, ancien député PS du secteur (et battu en juin par Jean-Luc Mélenchon), avait tenté d'interpeller le maire LR de la ville, Jean-Claude Gaudin, dans une lettre. «Je n'ai jamais eu de réponse», explique-t-il aujourd'hui à Libération, avant de dénoncer «l'incompétence complète de la mairie sur ce dossier».

Un habitant de l'immeuble résume la situation : «C'est bien simple, tous ceux qui pouvaient quitter l'immeuble l'ont fait.» Maïa Simon en fait partie. Propriétaire d'un appartement au numéro 14 depuis cinq ans, elle n'a cessé de tirer la sonnette d'alarme. Elle a déposé une plainte pour nuisances sonores, a averti le préfet, le maire de secteur et Jean-Claude Gaudin, a monté un collectif, lancé une pétition, tout cela en vain… Après deux ans de résistance, elle et ses deux enfants ont finalement quitté l'immeuble. «Je n'en pouvais plusJe suis en exil quasi politique avec mes enfants.» En septembre 2015, elle rentre chez elle, son fils dans la poussette, et trouve au pied de son immeuble une grenade dégoupillée, rafistolée avec du scotch. «Il est arrivé que je ne puisse pas rentrer chez moi pendant tout un week-end à cause d'une manif…» Lasse, elle conclut : «C'est la loi du plus fort, une guérilla qui s'installe ici… Les policiers sont bien censés être des gardiens de la paix, non ?»