Samedi, le président des Patriotes, Florian Philippot, battait campagne pour sa fidèle Sophie Montel, elle aussi dissidente du Front national et candidate à la législative partielle qui se tiendra dimanche prochain dans la première circonscription du Territoire de Belfort. Le FN était aussi dans le coin, mais dans l’indifférence générale en ce jour de pluie.
Sophie Montel comme à la maison
Midi. Ciel Gris. On est à Sevenans, Bourgogne Franche-Comté. Restaurant chez Dédée. C'est un routier à dix bornes de Belfort, au bord de la nationale 19. A l'intérieur, un mur à la gloire de Johnny : calendrier, guitare chromée, portrait sous cadre, horloge. Il y a un pool anglais et une cible de fléchettes électronique. Comptoir en bois, des types au bar, radio branchée sur Nostalgie. Derrière une porte à carreaux vitrés : la salle où l'on mange. Au menu ce samedi : croûte aux champignons, pintade-Côte du Rhône, fromage, mousse au chocolat. Près des fenêtres, une grande table : Sophie Montel et d'autres «patriotes». Sont là, notamment, le conseiller régional Antoine Chudzik, le suppléant hypothétique de Sophie Montel Patrick Jeanroch, 62 ans, ancien ouvrier chez Alstom où il a perdu un doigt, puis PSA où il est resté quarante ans. Il dit : «là-bas, les types disaient que j'étais pas un vrai Front national, parce que je suis pas raciste».
Ici, Sophie Montel est chez elle, elle tutoie la patronne. Elle est aussi en campagne. L’eurodéputée, numéro deux des Patriotes de Florian Philippot, est candidate dimanche dans la législative partielle de la première circonscription du Territoire de Belfort. L’élection de juin a été invalidée par le Conseil constitutionnel parce que le candidat LR, Ian Boucard, vainqueur avec seulement 50,75% des suffrages, avait distribué à la veille du second tour de faux tracts dont certains faisant croire que le candidat FN, Jean-Raphaël Sandri, appelait à voter pour lui. Avec 17,5%, Sandri était arrivé troisième. Comme Boucard, il se représente. En tout, dix candidats sont en lice, dont Montel qui s’est rajoutée entre-temps. Ce qui fait de cette élection le premier affrontement entre un frontiste et un(e) «Patriote» depuis la défaite de Le Pen à la présidentielle et le départ de l’ancien vice-président du parti d’extrême droite, Florian Philippot. Aucun des deux n’apparaît en situation de l’emporter.
13 heures. «Rien à foutre de Brigitte Bardot»
Cet après-midi, Sophie Montel a prévu un tractage dans le centre-ville de Belfort. Florian Philippot sera là. Et Jean-Raphaël Sandri, lui, doit faire un petit tour des commerçants à peu près au même endroit. Avec lui, il y aura le député FN Gilbert Collard. On imagine les deux groupes se croiser et s’envoyer des noms d’oiseaux : «européiste !», «patriote !».
Avant ça, Montel doit passer par la SPA de Belfort. Normal, c'est une amie des bêtes. Quand elle était au Front, elle avait monté le collectif Belaud Argos («Argos» comme le chien d'Ulysse), pour parler protection animale. Apparemment, ce ne fut pas une promenade de santé : au Front national, là-dessus, «j'ai été plutôt malmenée». Le seul sujet accepté, «c'était le halal». Impossible de parler corrida, loups, dit-elle, à cause des électeurs potentiels que ça aurait fâché. Montel raconte qu'un jour de mai 2016, alors que le maire de Cogolin Marc-Etienne Lansade (il a quitté le FN depuis) organisait un salon de la chasse dans sa ville, Brigitte Bardot l'appelle pour s'émouvoir de la chose. Du coup Montel écrit un communiqué. Volée de bois vert de Marine Le Pen. «Elle m'a dit "j'en ai rien à foutre de Brigitte Bardot, tu vas arrêter d'éplucher les poils de cul des maires FN"».
13h30. Souriez, vous êtes filmés
Patrick Jeanroch est allé chercher Philippot à la gare de Montbéliard, mais il est arrivé en retard. Entre-temps deux loulous armés d'un téléphone portable ont apostrophé le député européen : «Souriez vous êtes filmés ! Hey Marine Le Pen ! Ici on n'est pas trop FN !»
14h30. Emotion à la SPA
On est à la SPA de Belfort, séance photo avec des chats. Montel part promener «Prince», un chien «commun» couleur fauve de sept ans. Elle le remet ensuite dans sa cage, émue. Il pleut.
15 heures. «Mais vous allez le prendre, mon tract ?!»
Belfort, place de la République. Pas un gus à cause du froid. Début du tractage. Devant la préfecture, une seule affiche électorale a été dégradée : celle de Montel et Philippot. On en parle à Jeanroch. Pour lui, la coupable est probablement «une des conseillères municipales FN de Belfort. Sa boutique est dans le coin». Plus loin, Chudzik tend un tract à un passant qui l'invite à aller «se faire mettre». Montel en distribue un autre, refus poli. La candidate, qui n'en est pas à sa première campagne, s'en amuse : «mais vous allez le prendre, mon tract ?!» On prend congé.
16 heures. Collard vache
A 200 mètres de là, devant la Cathédrale, le candidat Sandri et le député Collard font leur arrivée. Le deuxième est venu en traînant des pieds, il l'a dit la veille à un confrère de l'Est républicain : «Je viens… parce qu'on me l'a demandé.» A une journaliste qui lui demande s'il fait «la course derrière Philippot», Collard réplique : «Quand Philippot sera enterré à Colombey-les-deux-Eglises, là ça motivera mon déplacement.»
A nous de poser une question. «Bonjour M. Sandri, que pensez-vous de Sophie Montel ?». Réponse : «Elle a pas compris qu'on n'a pas encore donné le droit de vote aux animaux.»
16h45. Facebook trash
Depuis quelques jours, on pense avoir trouvé le profil Facebook caché de Jean-Raphaël Sandri. Belfort est peut-être l'occasion d'interroger le candidat FN à ce sujet. Ce qui nous a mis la puce à l'oreille ? Le compte en question (sous pseudo) affiche la même date de naissance et ville d'origine (Belfort) que Jean-Raphaël Sandri. On y trouve la même photo de couverture que celle du jeune homme sur Twitter, et celui-ci y est «tagué» (identifié) sur pas mal de clichés depuis 2010. On trouve également une photo de Jean-François Jalkh – dont Sandri est l'assistant parlementaire. Le compte a 200 amis dont quelques «Sandri», plusieurs militants et des têtes connues au FN, dont Damien Obrador, attaché parlementaire de Steeve Briois ; Damien Rieu, dircom de la ville FN de Beaucaire ; David Rachline, maire de Fréjus et directeur de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2017. Pour un aspirant à la députation, le compte en question serait pour le moins problématique : partages de statuts de Dieudonné, likes en pagaille de manifestations anti-IVG, références positives au franquisme, blagues sur les nazis et «Adolf Hipster», et aussi pas mal d'images d'Augusto Pinochet…
Alors qu'on marche en direction d'un fleuriste où Collard a décidé de passer une tête, on isole Sandri pour lui demander si, à tout hasard, il ne serait pas fan du dictateur chilien. Après un temps d'arrêt, le candidat FN répond : «Je n'ai pas de profil Facebook. Seulement une page. Vous faites erreur, des Sandri il y en a pleins.» Mais des «JR Alexandre», il n'y en a qu'un.
[EDIT : Dès le lendemain, dimanche, le compte Facebook en question commençait à faire l’objet d’un ménage en règle…]