Un peu plus de quinze jours après sa nièce Marion Maréchal-Le Pen, Marine Le Pen a aussi eu droit à son quart d'heure américain, samedi à Lille, au premier jour du congrès «refondateur» du Front national. Le parti d'extrême droite, qu'elle préside, a invité à sa tribune l'ancien idéologue de Donald Trump, qui fut plus tard son conseiller stratégique à la Maison Blanche avant de se faire virer, le très droitiste Steve Bannon. L'homme, à la carrière sinueuse, figure de l'alt-right américaine, a perdu son bureau à Washington en août, et a été contraint ensuite de quitter la direction de Breitbart News, site d'info ultra-réac et très branché fake news. Il navigue depuis dans les milieux conservateurs dans l'espoir de se recaser.
Bannon s'est lancé il y a quelques jours dans une tournée européenne pour vanter un projet d'internationale des populistes et vendre ses idées de sites un peu partout. Il est passé notamment par l'Italie et la Suisse ; le Front national a pu profiter «par chance», selon un cadre, de sa présence dans le coin. Pour Marine Le Pen, il s'agissait de «montrer que nous ne sommes pas seuls, et pas seulement en Europe».
«Pas question d’en faire un allié»
Attention quand même pour elle à ne pas trop s'afficher bras dessus, bras dessous avec le sulfureux Américain, sa présence fait grincer des dents même dans son propre camp. La dirigeante frontiste a donc dit au sujet de Bannon qu'il n'était «pas question d'en faire un allié. Il s'agit d'avoir un personnage de la vie politique américaine qui a obtenu contre toute attente la victoire de Monsieur Trump».
Pour appuyer la chose et montrer que les deux n'étaient (vraiment) pas copains, Le Pen s'est aussi contentée d'une poignée de main à Bannon à la fin de son discours. Devant les journalistes, lors d'une conférence de presse, lui n'a pas eu un mot pour la présidente du FN, préférant parler de Marion Maréchal-Le Pen qu'il estime être une personnalité «impressionnante», et qu'il confirme avoir rencontrée fin février après le CPAC (pour Conservative Political Action Conference), le raout annuel des conservateurs américains, où elle avait été invitée à s'exprimer (il y avait Donald Trump).
Le parti mariniste doit la présence de Bannon à l'un des vice-présidents du Front national, Louis Aliot, compagnon de Marine Le Pen. Lequel a rencontré Bannon en décembre lors d'un voyage à New York, a-t-il raconté à l'Obs. L'homme (Aliot) s'est félicité de l'événement sur son compte Twitter, avec une photo de lui et celui qu'il a décrit comme «l'ancien conseiller stratégique du président des USA», qui «incarne le rejet de l'establishment dont l'un des pires symboles est l'UE de Bruxelles».
L'annonce a été une surprise pour tout le monde, dont les journalistes, y compris les militants, qui pour certains n'avaient jamais entendu parler dudit Bannon. Avant sa prise de parole, dans l'un des amphis du Zénith de Lille, où a lieu le XVIe congrès du Front national, Marie-Claude, 77 ans, nous disait ne pas savoir qui c'était, «mais ça va être l'occasion de faire connaissance». Un peu plus loin dans les allées, Annick estime que «ça dépend de ce qu'il va dire».
Pour en savoir plus sur la symbolique que le FN voulait que les gens retiennent de la venue de Bannon, il fallait demander aux proches de Marine Le Pen. Ainsi, Jean-Lin Lacapelle, qui au FN est «secrétaire national aux fédérations et à l'implantation», nous a dit que la présence de Bannon à Lille «montre que Marine Le Pen est une femme de réseaux, qui a vu Poutine, qui a vu le président du Tchad, qui est une leader nationale et internationale». Noté.
Mais en off, un autre cadre, à qui on a demandé si Marine Le Pen n'avait pas fait venir un Américain pour damer le pion à sa nièce, a rigolé et dit «enfin, c'est quand même pas la même dimension». Entendre : il y avait ce samedi à Lille un côté «congrès conservateur du pauvre».
«God bless America, vive la France»
Bannon a pris la parole vers 17h30 avec derrière lui deux gros drapeaux américains. Son discours était très populiste et très ponctué par des applaudissements frontistes. Il a dit (dans l'ordre) : «Je ne suis pas venu comme un professeur, mais pour observer et apprendre.» Là, quelqu'un dans le public a répondu «all right». Puis, «les banques centrales font de vous des hamsters dans leur roue, esclaves de vos dettes». Là, un gars aux cheveux courts a crié «ouh». «Vous vous souvenez le soir de l'élection [de Trump, ndlr], comme les gens étaient sous le choc ? Ils n'auraient jamais cru que la classe populaire pouvait voter dans leur propre intérêt.» Un peu plus loin, une femme en bleu (la veste), blanc (le chemisier), rouge (la jupe), a dit «yes». «D'ailleurs, où sont les médias, "le parti d'opposition" dans la salle ?» A ce moment, tout le monde a hué les journalistes. Enfin : «Vous vous battez pour votre liberté, on vous traite de xénophobe, vous vous battez pour votre pays on vous traite de raciste» et «god bless America, vive la France». Applaudissements.
A la sortie, on a recroisé Marie-Claude : «Remarquable ! Passionnant ! C'est un honneur d'avoir un invité pareil ! Un proche de Trump qui nous soutient c'est quand même important.» Et Damien : «Ce genre de discours, ça donne du courage. Ça fait plaisir d'avoir quelqu'un décrit comme le diable et passé par les mêmes problèmes que nous.» Jasmine, elle, a trouvé que «Bannon a du punch. Mais comme tous les nationalistes. Il a raconté les misères qu'on nous a fait, la presse et les banques. Il nous dit "faut pas qu'on ait peur des insultes mais les prendre comme des médailles à porter".»