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Libération
Bousculades

Marche blanche : Le Pen et Mélenchon exfiltrés du cortège

Les leaders du FN et de La France insoumise, dont la présence n’était pas souhaitée par le Crif, ont été chahutés lors de la marche en hommage à Mireille Knoll.
Marine Le Pen, escortée lors d'une manifestation, en mars 2018. (Photo Boris Allin. Hans Lucas)
publié le 28 mars 2018 à 20h56

Sur la place de la Nation, toutes les couleurs politiques auraient voulu s'afficher. La foule des anonymes en a décidé autrement, suivant l'anathème du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) qui avait déclaré Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon persona non grata lors de ce moment de recueillement. La présidente du Front national et le leader de La France insoumise ont été rapidement exfiltrés du rassemblement vers des rues connexes, dans une ambiance tendue et les huées. «Le FN dehors, les fachos dehors», scandaient les plus remontés. Ne lâchant pas l'affaire, l'ex-candidate à l'Elysée est réapparue en queue de cortège après 19 h 30, entourée d'une quinzaine de CRS.

Arrivé avec plusieurs députés de son mouvement, d'Adrien Quatennens à Clémentine Autain, Mélenchon a marché calmement sous les sifflets avant de quitter la manifestation sous escorte policière. «Je suis dans mon rôle, j'assume le rassemblement», a-t-il expliqué aux caméras, coincé devant une boucherie. «Mélenchon se fait virer et nous non, mais c'est normal, ils ne nous connaissent pas», glisse l'eurodéputé écolo Pascal Durand, blaguant pour faire retomber la tension. Dès le début de la manif, le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan s'est aussi fait éconduire, mais plus tranquillement*. Au milieu de la place, pendant ce temps, Florian Philippot, ancienne éminence grise de Marine Le Pen, donnait des interviews dans l'indifférence générale. Plus loin, les représentants des autres partis et du gouvernement restaient groupés, Laurent Wauquiez à côté de Christiane Taubira et d'Anne Hidalgo. Et aussi un groupe de LREM: Benjamin Griveaux, Christophe Castaner et Richard Ferrand - ce dernier a quitté la manif au bout de dix minutes, «choqué» par l'expulsion de Mélenchon du défilé.

«Honte». Face à l'union nationale tronquée, Alexis Corbière se frotte les yeux. Le député insoumis de la Seine-Saint-Denis a échangé «un peu plus d'une heure» au téléphone mardi soir avec le président du Crif pour «essayer de comprendre». En vain. «Je ne sais même pas ce qu'il nous reproche, on a toujours combattu le racisme, l'antisémitisme. Au téléphone, il m'a dit "il y a des gens autour de vous, dans vos électeurs"… C'est grave de dire ça et surtout ça n'a aucun sens. Franchement, pourquoi créer une polémique alors qu'un mouvement populaire se met en place pour lutter contre l'antisémitisme ?» Son collègue Eric Coquerel est sur la même ligne. La France insoumise refuse d'être mise au même niveau que Marine Le Pen. «Une insulte», «une honte», répètent les dirigeants insoumis. Et Coquerel de conclure : «Nous n'avons jamais été copains avec le Crif et les communautaristes en règle générale, la seule chose qu'ils peuvent nous reprocher, c'est de critiquer le gouvernement israélien et, jusqu'à preuve du contraire, on a le droit de le faire, ce n'est pas antisémite.»

Musique différente du côté du FN. Le parti a l'habitude de ce genre d'ambiance. Entre la famille Le Pen et les juifs, l'hostilité remonte à très loin. Personne n'a oublié le «détail de l'histoire» lâché par son père, cofondateur du FN et jusqu'il y a peu encore président d'honneur, au sujet des chambres à gaz durant la Seconde guerre mondiale. Sa condamnation vient d'ailleurs d'être confirmée en cassation. Malgré la stratégie de «dédiabolisation» mise en place par Marine Le Pen à son arrivée à la tête du parti, en 2011, le Crif ne l'a jamais invitée à son très couru dîner annuel (pas plus que Mélenchon, d'ailleurs), au motif que son parti «véhicule la haine de l'autre et le rejet de l'étranger».

L'an dernier, quand des responsables frontistes se sont rendus à Jérusalem pour «nouer ou renforcer des contacts dans un pays ami», un déplacement inédit pour un parti longtemps ostracisé en Israël en raison des déclarations à caractère antisémite de son ancien président, le Crif avait immédiatement réagi. «Autour du FN, on doit maintenir le cordon sanitaire, ne pas faire sauter le verrou moral», disait son communiqué. Sauf que mercredi matin, l'un des fils de Mireille Knoll a redit que «tout le monde» était invité à la marche hommage à sa mère. «Le Crif fait de la politique et moi, j'ouvre mon cœur, a dit Daniel Knoll. Tous les gens sont concernés, c'est insupportable qu'en France, aujourd'hui, quelqu'un puisse mourir de façon si affreuse.»

«Cons». Du coup, le FN a appelé «ses adhérents et ses sympathisants à se joindre à la marche blanche» et, dans la foulée, Marine Le Pen a annoncé sa venue avec ses «députés et élus , ainsi que de très nombreux militants, marqués par ce meurtre infâme». Elu du Gard, Gilbert Collard, il était aussi place de la Nation mercredi soir. En fin d'après-midi, l'ex-avocat commentait son éviction éventuelle : «Je ne vois pas au nom de quoi on me rejetterait. Qu'ai-je fait dans la vie pour qu'on m'interdise de participer à cette marche blanche ?» Au sujet des accusations du Crif, sur ces «antisémites surreprésentés au Front national», le député répond : «Des antisémites, il y en a partout, chez Les Républicains, chez les En marche… Des cons, il y en a partout. Un espace humain n'est jamais à l'abri de la connerie. Mais cette connerie, il faut la chasser.»

*EDIT jeudi 29 mars : précisons que le patron de Debout la France à quitté la marche de sa propre initiative, vers 19h15, et non pas «dès le début», comme nous l'avons écrit. Ajoutons ceci : son départ a été accompagné de commentaires agressifs de quelques manifestants.