Plusieurs touristes allemands admirent les bateaux sur le vieux port de Cannes, rêvant du jour où l'un d'eux aura le plus gros. Il est aux alentours de 11 heures ce mardi matin. Square Jean Hibert, non loin, une petite centaine de personnes, des sympathisants FN, s'est rassemblée devant la statue de Jeanne d'Arc, plantée au milieu des palmiers entre un hôtel Radisson et un parking. Un spectateur peste contre les journalistes, selon lui trop nombreux: «Y'en a plus que de supporteurs. S'ils sont autant, c'est parce qu'ils veulent tous la détruire.» Quand soudain débarque une grosse berline: Marine Le Pen. Applaudissements.
La présidente du FN a délocalisé cette année l'hommage de son parti à Jeanne d'Arc dans le Sud de la France, loin de son père, Jean-Marie qui, lui, fait son discours en même temps (et comme d'habitude) place des Pyramides, à Paris. A Cannes, mardi, Marine Le Pen a déposé une gerbe sous la pucelle, puis marqué un temps d'arrêt solennel. Sans discours, la chose a duré trente secondes, et l'ancienne candidate à la présidentielle a vite enchaîné avec une séance de serrages de mains puis de questions-réponses avec les médias.
«Je n’ai rien contre les Arabes»
L'intérêt du déplacement de Marine Le Pen dans la région n'est pas son hommage à Jeanne d'Arc, mais le meeting organisé à Nice quelques heures plus tard par le Mouvement pour une Europe des Nations et des libertés (MENL), auquel elle participe avec ses «alliés» nationalistes européens. Le rendez-vous est censé lancer la campagne du FN pour le scrutin continental, qui aura lieu en 2019 et sur lequel Marine Le Pen compte beaucoup pour reprendre sa marche en avant. D'ailleurs, aux journalistes, elle affirme qu'en ce 1er mai, elle et ses copains du MENL posent «la première pierre d'une Europe qui respecte la souveraineté des nations et la souveraineté des peuples». Plus tôt dans la matinée, sur France Bleu Azur, radio locale, elle a aussi dit qu'«une autre Europe est possible», et que «l'Europe est une belle idée, mais l'Union européenne est en train de la tuer». Loin du Frexit dont Florian Philippot voulait faire de Marine Le Pen la championne, quand le FN affirmait en bloc que rien n'était possible sans sortie de l'euro.
A quelques mètres, Michelle, la soixantaine. Elle tend l'oreille, mais n'entend rien. La faute aux médias encore. Elle dirait quoi à Le Pen, si elle pouvait? «On aimerait qu'elle soit plus présente sur la scène médiatique. Qu'on la voie plus à l'Assemblée, parce qu'on n'entend que Mélenchon.» Quoi d'autre? «J'aimerais qu'elle soit plus proche des identitaires. Elle est bien, la nouvelle génération.» Michelle fait référence à la récente opération antimigrants menée par Génération identitaire dans les Alpes et qui a fait la une des médias. Justement, Marine Le Pen les a félicités pour cette «opération de communication». La présidente du FN vient aussi de nommer à la direction du FN Philippe Vardon, conseiller régional, figure des identitaires en pays niçois et bien sûr présent ce mardi. Michelle a autre chose à ajouter : «Je voudrais qu'on soit plus pour la France, car on n'est plus rien. Notre culture s'effrite. Les islamogauchistes prennent le pouvoir. Ils font passer des lois qui n'interdisent pas l'excision. C'est la preuve que l'islamisme progresse. Et pourtant, je n'ai rien contre les Arabes.» On prend congé.
«On est entre Français»
Nice, 14 heures. Au palais des congrès de l'Acropolis, on a fait les choses bien. Chaises alignées en cercle dans la grande salle, stands de victuailles, bière à foison. Il y a aussi un photobooth pour un cliché avec le logo «fêtes des Nations». On croise un groupe en tenue traditionnelle «Provence», qui se promène en dansant flûte au bec. Un type distribue des posters «Schengen ça suffit! Stopper l'immigration». Un autre, costaud, bourré, chancelant, tente d'embrasser des journalistes: «Allez quoi, on est bien, on est entre nous, y'a que des Français !»
Au milieu de tout ça, Benjamin, (en réalité Daniel), cheveux longs, queue-de-cheval, chapeau, chien bichon («Eva») dans son sac. A 63 ans, l'homme, «un ancien transformiste ayant bossé chez Michou», a vécu un peu partout, a été royaliste, puis de gauche, avant de voter FN parce que «déçu». Ce qu'il pense de Marine: «Je n'ai pas compris ce qui s'est passé dans sa tête au débat d'entre-deux-tours, elle a fait n'importe quoi. Une amie à moi LR m'a même dit qu'elle avait honte pour les électeurs frontistes.» Est-ce que Le Pen pourra un jour s'en relever? «Je ne sais pas. Le parti est très divisé. Peut-être que ça changerait avec Marion?» Marion Maréchal-Le Pen, la nièce.
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Benjamin a-t-il un avis au sujet des «alliés» européens venus au meeting de Nice (le Belge Gerolf Annemans, le Bulgare Veselin Mareshki, le Polonais Michal Marusik, le Grec Failos Kranidiotis, le Tchèque Tomio Okamura, l'Autrichien Harald Vilimsky, le Néerlandais Geert Wilders et l'Italien Matteo Salvini, ces deux derniers ayant annulé leur venue), à part qu'à leur sujet, Marine Le Pen dit qu'ils «ne sont pas d'extrême droite» – et «personne n'est d'extrême droite»? Non, aucun. Il ne «les connaît pas», il est là parce qu'on lui a dit que «ça allait être sympa».
Fin de la discussion, car il est l'heure du discours de la présidente du Front national. Résumé: «La question de nos racines ne relève pas d'une nostalgie angoissée, d'un repli, mais d'une évidence historique»; «à de nombreuses reprises, les peuples européens se sont trouvés à la croisée des chemins; chaque fois ils sont sortis victorieux des menaces d'invasion»; «l'Union européenne travaille à la destruction de l'Europe par dilution et submersion».