Septembre 2017. Florian Philippot, rétrogradé au rang de «vice-président à rien» pour avoir refusé de quitter la direction de son association Les Patriotes, annonce qu'il quitte le FN. «Le Front s'en remettra sans difficulté. […] Tous ceux qui ont pris cette route-là et mené une aventure solitaire ont disparu», promet alors Marine Le Pen. Un an plus tard, l'association est devenue parti et Florian Philippot écume toujours les plateaux télé. Pas KO donc, mais tout de même dans une passe pour le moins très difficile. L'aventure en solitaire de l'ex-numéro 2 du FN n'a pas soulevé les foules. Ni chez les électeurs - le parti a réuni 1,6 % des voix dans le Val-d'Oise, 2 % à Belfort, lors de législatives partielles en janvier 2018, ni chez les militants. Interrogé par Libé en août, Philippot revendiquait 8 000 adhérents. Sophie Montel, ex-frontiste, ex-Les Patriotes, l'ayant suivi puis lâché, assure pourtant qu'au moment de son départ, fin juin, le compteur affichait 2 700 membres, sans document à l'appui. «Je ne comprenais pas pourquoi il gonflait sans arrêt les chiffres parce que, pour un parti qui a six mois d'existence, ce n'était pas ridicule», affirme l'eurodéputée, qui a été candidate à Belfort à l'époque sous l'étiquette Les Patriotes. «Elle est partie», rétorque Florian Philippot. Comprendre : sa parole ne vaut pas grand-chose. Lui-même, pourtant, confessait un peu après la création de Les Patriotes communiquer un chiffre plus élevé à chaque fois qu'un journaliste l'interrogeait sur la question, histoire de donner l'illusion d'une dynamique très positive.
Moribond
Les départs successifs de Maxime Thiébaut, vice-président du parti, et de la numéro 2 Sophie Montel, respectivement en juin et juillet, donnent plutôt l'impression d'une route sinueuse. Si Thiébaut est parti «pour des raisons professionnelles», Montel ne cesse, depuis qu'elle a claqué la porte, de taper sur Philippot, son entourage et ses «dérives». Dans son sillage, elle a entraîné plusieurs défections dans les rangs du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Sur les sept élus déclarés Les Patriotes, dont elle faisait partie, seuls deux se présentent encore comme tels. Certes, on est loin de l'hémorragie mais, quand bien même Florian Philippot assure que «personne ne la connaît», Sophie Montel, trente ans de Front dans les pattes, était l'une des rares personnalités politiques identifiées au sein du parti, l'équipe nationale ainsi que les référents locaux étant pour la plupart inconnus au bataillon. Le seul représentant du parti à l'Assemblée nationale, le député José Evrard, n'est pas non plus parmi les plus médiatiques, ni les plus présents dans l'hémicycle.
Un an après son lancement, Les Patriotes donne l'impression d'une coquille qui cache une vie politique et militante plutôt moribonde. L'équipe nationale, composée de 35 personnes et désignée «par [lui]», se réunit au siège du parti, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), toutes les quatre à six semaines, assure Florian Philippot. «Tous les mois, on fait le bilan de ce qui se passe au niveau départemental et de ce qu'il faut prévoir», abonde Guillaume Kaznowski, référent adjoint dans le Nord. Excepté lors de ces réunions, le sol du siège est rarement foulé. Il n'y a ni boîte aux lettres ni permanence, salariés, ou bénévoles au quotidien.
Inertie locale
«On impulse des activités nationales», veut croire Florian Philippot, citant sa rentrée à Forbach ainsi que la publication d'un livre, Frexit, UE : en sortir pour s'en sortir, le 29 septembre. Jusqu'ici, et mis à part les interventions de son président dans divers médias, peu d'événements ont cependant été relayés par le parti. Il y a bien eu la «grande marche des patriotes», début avril, en réponse à «la grande marche pour l'Europe» des députés LREM, et une «fête d'été», fin juin, mais les deux sont passés inaperçues. Le président du parti met également en avant le «Forum», instance «citoyenne» censée participer à l'élaboration de l'orientation politique de Les Patriotes, contrôler l'action de l'équipe nationale ou encore nommer des membres.
Tirés au sort en mai, ses 60 membres doivent se réunir pour la première fois en septembre. Adhérent dans les Alpes-Maritimes, R. faisait partie du lot. Il a démissionné et n'a pas renouvelé son adhésion. «On ne savait même pas nous-mêmes à quoi on allait servir. Il ne se passait rien du tout. C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.» Car le militant déplorait déjà l'inertie au niveau local : «Tout est centralisé dans les fiefs des fondateurs, soit le Nord soit l'Est. Dans les Alpes-Maritimes, il n'y a strictement rien eu. Ni opération de tractage ni réunion dans une salle commune… Je n'ai jamais vu Cyril Martinez, le référent local.» Ce dernier reconnaît son manque d'implication. «Je suis là à titre transitoire, le temps de recruter une personne de confiance, car avec mes études et mes fonctions nationales [il gère la communication numérique, ndlr], je n'ai pas le temps de me consacrer au niveau local», explique-t-il. Le compte Twitter de la fédération du Nord témoigne en effet d'une activité militante plus développée, à coups de tractages sur les marchés, «trois fois par semaine», affirme Guillaume Kaznowski, et de réunions entre adhérents, «trois par mois». «On continue ce qu'on a commencé, même si on a quitté le FN, on ne veut pas lâcher le contact sur le terrain», explique l'ancien frontiste, qui revendique aujourd'hui une soixantaine de militants actifs. Il reconnaît pourtant «le retour qui n'est pas celui qu'on attendait mais ça se corrige». Et justifie : «On a très peu de moyens.» Au niveau local, on compte donc sur les militants qui, parfois, autofinancent par exemple la production des tracts, explique le référent.
«Divine Solitude»
Le financement public étant conditionné par les résultats des élections, le parti, vierge de combat électoral, doit compter sur les adhésions et les dons. Il bénéficie tout de même de l’argent public, via ses élus, qui donnent une partie de leur indemnité, comme cela se fait dans presque tous les partis. D’où l’enjeu vital que constituent les élections européennes : s’ils n’atteignent pas 3 % des voix exprimées, les candidats ne seront pas remboursés des frais de campagne qu’ils auront engagés.
Mais au-delà de l'argent, plusieurs ex-membres de Les Patriotes, interrogés par Libération, expliquent la difficile émergence du parti par la gestion de Florian Philippot. Sophie Montel le répète à qui veut l'entendre : le président du parti se complaît dans une «divine solitude». Il voudrait décider de tout, seul. «Il est dans une position où il n'a besoin de conseil de personne, dit-elle. Le cadre du Front national l'a obligé à se tenir à carreau. Il est sorti de là en se disant : "C'est bon, je vais pouvoir faire ce que je veux".» Elle évoque l'épisode Geneviève de Fontenay, resté en travers de la gorge de l'ex-numéro 2. «Quand j'ai vu ça, j'ai hésité entre éclater de rire et tomber à la renverse», raconte-t-elle en référence à une conférence de presse commune entre Florian Philippot et l'ancienne présidente du comité Miss France, appelant à une grande manifestation le 1er mai pour protester contre la politique de Macron. «Cet événement est assez révélateur : Florian Philippot voit tout dans le sens de la communication, pas forcément sur le fond. Il a vu les avantages en termes de com, sans prendre en compte le fait que ça allait déplaire à la base militante, juge Antoine Berranger, ex-référent adjoint de Loire-Atlantique. Les gens ne le contredisent pas pour ne pas le contrarier. Il y a beaucoup de "yes men", qui disent amen à tout. Et ceux qui l'ont contredit ont été exclus ou se sont auto-exclus.» Persiste alors un «clan autour d'une seule personne sans réelle volonté d'en faire un vrai parti avec plusieurs têtes». Sophie Montel reproche à Florian Philippot d'avoir «distribué les postes à des gens qui n'ont pas d'expérience politique. C'est un fan-club. Ça lui permet de tout décider, peste-t-elle. Se retrouver avec un Franck de Lapersonne qui devient le gourou de Philippot, c'est inquiétant».
Des cadres «incompétents» et de la «tambouille» : les démissionnaires reprochent encore à Philippot de reproduire, avec Les Patriotes, les mêmes erreurs que le FN. Notamment du côté des caisses. Outre l'argent puisé dans les fonds européens grâce à la ligne budgétaire 400 des élus à Bruxelles (Philippot, Mireille d'Ornano et, jusqu'à son départ, Sophie Montel), le petit parti s'arrange aussi avec la loi : il occupe son siège de Saint-Ouen, propriété du forain Marcel Campion, sans payer de loyer. Un échange de mails incluant Florian Philippot, que Libération a pu consulter, explique le miracle : «Le bail prévoit que les travaux de réfection du local [effectués au moment de l'arrivée de Les Patriotes dans les locaux, ndlr] repoussent à décembre 2018 le premier loyer exigible.» Un an sans rien payer contre 1 200 euros de travaux. Une forme de don, alors que la loi les plafonne à 7 500 euros et impose de les déclarer. Autre maniedéplorable également dénoncée par un démissionnaire : fermer les yeux sur les frasques de ses membres. Ainsi, Antoine Berranger a démissionné fin juin, reprochant à Les Patriotes de ne pas avoir exclu Guillaume Kaznowski, pourtant condamné le 12 juin pour des propos racistes.
«Etiage électoral»
Au-delà de la gestion, la réalité politique empêche de toute façon un parti comme Les Patriotes d'émerger, selon le politologue spécialiste de l'extrême droite, Jean-Yves Camus. «Il y a une règle d'or dans cette famille politique : ceux qui scissionnent ont énormément de mal à prendre le dessus car c'est un créneau qui peut atteindre un étiage électoral non négligeable mais qui n'est pas facilement extensible.» Dans un espace politique déjà encombré par le FN, Debout la France ou encore l'Union populaire républicaine de François Asselineau, le parti Les Patriotes, qui se distingue par des subtilités difficilement identifiables, a logiquement du mal à trouver sa part de marché. «On fait ce qu'on peut, on s'est créé sur un moment de vide, sans élection. Les européennes vont être la rampe de lancement», veut croire Florian Philippot. «Ça risque de ressembler à ce qu'était devenu le MNR de Bruno Mégret. Ça continue à tourner grâce à la force d'inertie», prédit au contraire Jean-Yves Camus. En 1999, celui qui était alors numéro 2 quittait le FN en entraînant une partie des troupes. Trois ans plus tard, le MNR recueillait 1 % des voix aux élections législatives, actant l'échec de cette aventure dissidente.