La foire de Châlons-en-Champagne (Marne) est un événement agricole tout ce qu’il y a de plus classique. A l’entrée, ça sent le crottin de cheval, et on y trouve un peu de tout : moissonneuses-batteuses, tondeuses à gazon, échelles et tracteurs en tout genre. On y mange aussi : stand des Ardennes, le célèbre pâté en croûte, Limousin représenté, cailles au miel, truffade d’Auvergne. Marine Le Pen est passée là vendredi pour sa première apparition publique depuis les vacances. Elle est venue accompagnée d’un petit groupe, dont son garde du corps, mais aucune grosse tête du Rassemblement national (ex-Front national). Peut-être pour des soucis d’économies, car le parti d’extrême droite a des problèmes d’argent en ce moment.
Les juges lui ont confisqué 2 millions d'euros d'aides publiques à titre «conservatoire», en prévision d'éventuelles futures condamnations dans l'affaire des assistants parlementaires FN employés fictivement au Parlement européen. Le parti saura le 26 septembre s'il reverra la couleur de l'argent ou non. Et Marine Le Pen, avant janvier, si sa mise en examen est élargie pour «complicité de détournements de fonds publics» comme son ancien comptable Charles Van Houtte. La présidente du RN doit en effet être convoquée à nouveau par les juges Thépaut et Van Ruymbeke, «avant janvier», a-t-elle indiqué. En attendant, son parti vivote : un tiers de ses permanences ont déjà fermé, faute d'argent pour payer le loyer. Beaucoup d'autres attendent de voir pour décider. «C'est grâce aux dons des Français que nous tenons bon», a dit Le Pen à la presse locale. Son parti a récolté 650 000 euros cet été. Pas suffisant.
Photo dédicacée
Vendredi, à Châlons-en-Champagne, Colette attendait la dirigeante frontiste avec sa photo dédicacée dans les mains, fière comme tout. Quand l'ex-candidate à la présidentielle est arrivée à sa hauteur, elle lui a montré l'objet, emballé dans une chemise plastifiée, et Marine Le Pen a souri en gratifiant Colette d'une poignée de main molle, pour s'en désintéresser aussitôt. La vieille dame, qui fait partie des donateurs du FN de l'été, s'est retrouvée là un peu sonnée par tant de froideur. «C'est pas grave, je comprends, elle est très sollicitée.»
Pourquoi passer à Châlons ? Pourquoi pas, d'autres politiques y vont pour parler à la France rurale. Marine Le Pen est déjà en «précampagne pour les Européennes» et «ne se désintéresse pas des problématiques de l'agriculture, à un moment où tout le monde parle d'écologie». Mais de la foire, vendredi, la frontiste n'a en réalité pas vu grand-chose. Elle n'a fait que trois stops durant sa promenade du matin, si l'on excepte l'arrêt au stand des vins d'Autriche et de Hongrie, vers 11 heures : sur celui de la police nationale, sur celui de l'armée et enfin sur celui de la gendarmerie nationale.
Tank
Chez la police, la dirigeante du RN a échangé avec un fonctionnaire : «C'est pas trop difficile avec l'augmentation de la délinquance ?
- Non, non, ça va.
- Et les baisses d’effectifs ?
- Non, chez nous ça va aussi.»
D'accord, merci. Au stand «Armée», Marine Le Pen est montée dans un tank, ce qui a ravi les photographes, et elle a dit «il faut lutter contre le terrorisme et le trafic d'êtres humains», puis «le Front national est le meilleur ami de l'armée, je ne peux pas dire mieux».
Un groupe de sympathisants FN observait la scène en discutant : «tout ce qui est immigré : dehors !», a dit José, tee-shirt noir, moustache fine, casquette. «Sinon ils vous piquent dans les poches.» «Je suis pas raciste, mes petits-fils sont noirs. C'est pas vrai, y'a pas de racistes.» «Moi, dans mon village, il y a 130 habitants, aucune boulangerie. Et ma maison, ça fait cinq ans qu'elle est en vente.» Des gens qui critiquent Marine Le Pen ? «Comment on peut se permettre ? Alors qu'elle a jamais été au pouvoir et qu'on sait pas.» Les migrants ? «C'est pas les migrants qu'il faut critiquer mais les politiques. On a fait tellement de magouilles en Afrique que maintenant on est redevables.» «A la télé, j'ai vu un handicapé français sans abri, c'est une honte. Pendant ce temps y'en a qui se gavent.» Des juges accusent Marine Le Pen d'avoir détourné l'argent de l'Union européenne ? «On s'en fout, du moment qu'elle nous débarrasse des immigrés.»