Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Sur le papier pourtant, le déplacement avait tout d'une promenade de santé. À quatre jours de sa rentrée politique à Fréjus, dimanche, Marine Le Pen avait ciblé le village de Châteaudouble (Var), à moins d'une heure en voiture. Dans cette municipalité d'environ 450 âmes dont le RN local, main dans la main avec les identitaires et largement relayé par la fachosphère, a fait un symbole de la «submersion migratoire» qu'il s'agit «d'endiguer» pour que la France reste la France. Ici, l'Etat, par la voix du préfet, a décidé d'installer 72 migrants hommes dans un centre d'accueil et d'orientation (CAO) créé dans les locaux d'une maison de retraite ouverte en 2014 mais fermée en 2016 faute d'un nombre suffisant d'occupants. A priori un cocktail parfait pour enflammer le débat en se posant au chevet des habitants de cette «France des oubliées» laissée seule face à des hordes de migrants. À la présidentielle, la candidate du FN n'a-t-elle pas fini en tête du premier tour, à 30,25%, devant Jean-Luc Mélenchon dix points derrière ?
Mais parce qu'une opération de communication ne se passe pas toujours comme prévue, sur place, Marine Le Pen n'a pas eu les images qu'elle était venue chercher. On a plutôt vu une leader politique ballottée et pas franchement accueillie à bras ouverts par la population locale. Si des militants politiques avaient bien sûr fait le déplacement pour un comité d'accueil hostile – David Rachline les réduisant un peu vite aux qualificatifs «punks à chiens» et «nervis d'extrême gauche» – ils n'étaient pas si nombreux car à la base Marine Le Pen était attendue vendredi. Ce sont surtout les propos des habitants entendus dans différents médias qui interpellent. Il s'agira bien sûr d'aller sur place (Libération y sera vendredi) pour prendre le pouls hors débarquement de la caravane Le Pen. Mais qu'il s'agisse du maire de la commune ou de la plupart des habitants interrogés, loin de se dire absolument ravis de voir arriver des migrants exclusivement masculins, certains parlant d'un risque de déséquilibre au vu de leur nombre et de la faible population locale, beaucoup ont dénoncé la tentative de récupération du Rassemblement national. Loin des discours binaires, on a entendu des paroles mêlant inquiétude et humanité.
«Dans le sens de l’histoire»
Bref, Marine Le Pen, après un passage aussi éclair que discret à la foire de Châlons-en-Champagne le week-end précédent, a loupé sa prérentrée en images avant son discours de dimanche à Fréjus. C'est là, dans la ville de David Rachline, que la finaliste de la dernière présidentielle, dont on ne dira jamais assez qu'il ne faut pas l'enterrer trop vite même si elle a perdu des plumes, lancera véritablement sa campagne des Européennes. En déroulant plus que jamais ses fondamentaux lepénistes, les jugeant dans le «sens de l'histoire» alors que la vague nationaliste et surtout antimigrants s'avère de plus en plus porteuse dans les urnes, même si les flux migratoires sont pourtant revenus à leurs niveaux d'il y a quelques années.
L'axe Orbàn-Salvini, voilà où se situe le RN, mais contrairement à il y a cinq ans, quand le FN finissait en tête des Européennes en France, ce n'est plus sa présidente qui est situation de prendre le leadership à l'échelle continentale. D'autant moins que les finances de son parti sont dans le rouge depuis la retenue de 2 millions d'euros de dotation publique dans le cadre de l'enquête sur la rémunération de permanents du Front national avec des fonds européens dédiés à l'embauche d'assistants parlementaires. Le soupçon de détournement de fonds publics porte sur 6,8 millions d'euros entre 2009 et 2017 et concerne au total 17 élus et les contrats d'une quarantaine de collaborateurs. Une quinzaine de personnes ont été mises en examen, au premier rang desquelles Marine Le Pen, son compagnon Louis Aliot et le secrétaire général et possible tête de liste aux Européennes, Nicolas Bay, poursuivis pour «abus de confiance» ou «complicité d'abus de confiance».
Fonds de commerce antimigratoire
Si au FN, peu de signaux sont actuellement positifs, il serait hasardeux de parier dès maintenant sur un échec aux Européennes. Parce que leur fonds de commerce de la question migratoire va continuer d’alimenter les égoïsmes nationaux tant que perdurera la lâcheté collective des Etats incapables jusqu’à présent d’établir puis de respecter des positions communes. Le choix de la tête de liste LR, selon qu’elle morde ou non sur son territoire idéologique, aura aussi son influence. Tout comme le cas Dupont-Aignan, qui avait rejoint Le Pen durant l’entre-deux tours de la dernière présidentielle contre la promesse d’obtenir Matignon en cas de victoire mais qui a repris sa liberté de penser et ne se sent plus de joie depuis que les sondages l’ont fait passé de poids plume à poids moyen. La stratégie d’Emmanuel Macron de se poser en rempart contre le risque nationaliste, ciblant logiquement davantage Le Pen que Mélenchon, va de fait installer une forme de duel qui peut s’avérer porteur. Et ce, même si Marine Le Pen porte encore comme une croix la tâche de leur dernier débat en tête-à-tête.