Milan, place du Duomo, devant l'arc de triomphe, une petite fille, blonde, s'est fait prendre en photo samedi avec des pigeons attirés par les miettes. Il y avait aussi un couple, la femme a posé avec sa robe toute neuve - mais trop grande pour elle - en faisant tourner un parapluie aux couleurs de l'Italie. Là, des milliers de personnes s'étaient amassées face à une scène bardée de logos «Lega», d'affiches «Stop ! Burocrati, Banchieri, Buonisti, Barconi» - «Stop à la bureaucratie, aux banques, au trop-plein de bonté, aux barques» (sous-entendu, de migrants). Partout des photos de Salvini. Sous les écrans, d'énormes enceintes ont craché de la musique italienne. Les gens ont agité leurs drapeaux «Prima l'Italia» («l'Italie d'abord»). Au milieu de tout ça, un type avec un téléphone tourné vers lui a filmé la foule criant «Salvini ! Salvini !»pour retransmettre en direct sur les réseaux sociaux. Il a repéré quelques militants du Rassemblement national (ex-FN) : «Regardez, il y en a aussi !» Ceux-là avaient fait le déplacement pour «voir ce que ça fait quand on est au pouvoir, et aussi pour Marine». A une semaine des européennes, se tenait samedi à Milan un meeting «commun» de Marine Le Pen et Matteo Salvini. Ainsi que leurs nouveaux partenaires du futur groupe de l'extrême droite au Parlement européen.
Hôtel.Cela devait être un «moment historique», la naissance de la «grande coalition» des populistes censée «remplacer» ceux qui sont «à la tête de ce système totalitaire qu'est l'Union européenne». C'est en tout cas ce que tout l'état-major du RN, qui n'a parlé que de ça (et d'immigration) pendant toute la campagne, avait vendu côté français des Alpes. Jusqu'à Marine Le Pen, samedi matin lors d'une conférence de presse internationale dans un hôtel à Milan : «Nous ne sommes pas un second rôle dans l'alliance. Le RN joue un rôle principal et l'a toujours joué, dans la constitution de ce groupe.» Elle n'en est pas moins là pour et grâce à la «conquérante Lega et son charismatique leader ».
L'événement a tenu quelques promesses : dix représentants de partis étrangers avaient fait le déplacement, mais pas la tête de liste du FPÖ, à cause d'un scandale de corruption (lire page 6).Si bien que la réunion a rapidement tourné à la gloire du seul «Capitano» Salvini, comme s'il s'agissait d'un meeting du chef de la Ligue avec quelques invités. Aucun d'entre eux n'ayant parlé plus de cinq minutes. Avec pour leitmotiv : «Macron, Merkel et Juncker islamisent l'Europe.»
Marine Le Pen, elle, a eu droit à dix minutes de temps de parole. Sans doute parce que sa formation coprésidera le futur groupe européen. Mais là encore, la présidente du RN a dû s'effacer derrière le patron local. Le Pen a même fini par discourir en italien : «Dobbiamo scrivere il futuro dell'Europa, le 26 maggio. Potere al popolo. La rivoluzione di buon senso» («Nous devons écrire le futur de l'Europe, le 26 mai. Le pouvoir au peuple. Une révolution de bon sens»). La chose a marqué les observateurs présents, pas les cadres du RN visiblement. L'un d'eux : «C'est normal, la Ligue est la puissance invitante… Mais le rassemblement n'est pas cosmétique.»
Handicap. En réalité, ce sont plus les futures alliances que les présentes qui préoccupent les dirigeants de la droite populiste. «Certains [éventuels partenaires, ndlr] ne se décideront qu'après les élections»,explique un conseiller de Marine Le Pen, les néofranquistes espagnols de Vox en ligne de mire. Il pense aussi au Fidesz hongrois et au très conservateur PiS polonais. Le Fidesz, par la voix de son chef, Viktor Orbán, a dit qu'il n'avait «rien à voir, rien» avec Marine Le Pen.
Quant aux deux autres, ils ne veulent pas non plus entendre parler du RN, handicapé par une mauvaise réputation. Alors on laisse Salvini, qui lui est au pouvoir, faire le pont entre les composantes de la future «Ligue des ligues», comme on dit en Italie. «Il est sur ce chantier à moyen terme, il va finir par faire venir Orban», prédit un lepéniste. Sur scène, samedi, l'intéressé a résumé l'instant présent : «Avant, c'étaient les Italiens qui allaient à l'étranger pour se faire expliquer comment changer l'Europe. Désormais, le changement, il passe par Milan !»