«C'était la vie de la campagne», «j'étais dans l'urgence», «j'aurais dû faire plus de pédagogie»… Le principal prestataire du Front national pendant les législatives 2012, principal prévenu dans l'affaire «Jeanne», Frédéric Chatillon, a tenté à nouveau, jeudi, huitième jour du procès, de dédramatiser son omniprésence dans la campagne pour laquelle il est poursuivi. L'ancien leader du GUD, proche de longue date de Marine Le Pen, est soupçonné d'escroquerie, abus de biens sociaux et financement illégal de parti politique, pour avoir participé via sa société, Riwal, à un vaste système présumé de détournement d'argent public pour enrichir le Front.
Dans ce système, imaginé pour permettre au parti d’extrême droite, très endetté, de faire campagne, ce dernier obligeait ses candidats à acheter des «kits de campagne» contenant tracts et affiches, produits par Riwal et vendus 16 500 euros pièce, grâce à des prêts présumés fictifs consentis par Jeanne, société de financement de Marine Le Pen.
Riwal faisait développer les kits par des imprimeurs, à crédit, lesquels étaient remboursés une fois les frais de campagne remboursés par l'Etat. Au passage, Riwal empochait sa marge et Jeanne (le micro-parti dédié à Marine Le Pen), les intérêts. Problème : plusieurs témoins de l'époque, entendus par les juges, ont estimé (ou cru) que Jeanne, structure créée par d'autres proches de Marine Le Pen, était en fait dirigée par Frédéric Chatillon. Car l'homme était à ce moment omniprésent dans les deux structures, de toutes les réunions, alors que les bureaux de Jeanne et Riwal étaient installés au même endroit, dans les locaux de Frédéric Chatillon, rue des Vignes (XVIe arrondissement de Paris). Un auto-entrepreneur a, par exemple, raconté que, pendant la campagne, il pensait travailler pour Jeanne, mais facturait pour Riwal… «Parce que Chatillon» le lui avait «demandé».
Réponse de l'intéressé : «J'aurais dû faire de la pédagogie, expliquer à chacun pour qui ils travaillaient. Je constate que ça a créé le trouble dans l'esprit de certains.» Plus tôt, Chatillon avait déjà raconté que, pendant les législatives, il recevait «des coups de fil de partout, donc bien sûr je suis au courant de pleins de choses». Parce que l'homme, 51 ans, qui dit avoir agi aussi par amitié pour le Front, «sait tout faire, c'est cette compétence qu'on m'a demandé d'apporter au FN».
Selon lui, la confusion viendrait du fait qu'en tant que «fournisseur» et «ami» il voulait «s'assurer que ça marche, et [qu'il] arrive à être payé». «Quand on bosse pour le FN, on fait fuir les gens. A l'époque, je suis dans un tunnel, je peux plus reculer, je suis exposé politiquement […]. J'ai un imprimeur, qui me dit, "je fais plus rien avec toi", et en même temps, j'ai des informations qui me font penser que le FN a des difficultés financières.»
Est-ce alors pour renflouer les caisses du parti que Riwal, pourtant prestataire, se retrouve à régler peu après la campagne (début août) une facture de 412 000 euros au Front national, au titre d'une «confection, impression et expédition de quatre tracts personnalisés de 1 000 exemplaires chacun» ? Les juges estiment le montant surévalué et pensent déceler là un financement illégal de parti politique. Réponse de Chatillon : «Le FN m'a imprimé et livré des tracts. Je l'ai donc payé comme je l'ai fait pour tous les fournisseurs.» Mais comment le FN a-t-il pu en devenir un ? «Mes imprimeurs habituels étaient surchargés de boulot. Et les tarifs étaient supérieurs pour des questions de délais.» Quels délais ? Quelle différence entre ces tracts-là et les autres ? «Je me suis rendu compte que je n'aurai pas le temps de tout fabriquer. Les imprimeurs étant eux-mêmes sous l'eau. Je n'ai pas voulu sortir de ma zone de confort avec mes imprimeurs, donc je me suis dit "le Front va me trouver une solution". Je me suis retrouvé au pied du mur. C'était la vie de la campagne.»