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Libération
Portrait

Les raisons de la couleur

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Ladislas Kijno, 78 ans, peintre fort en gueule et mystique polymorphe, est consacré par une grande rétrospective à Lille.
publié le 16 mai 2000 à 1h14

Dans de gros classeurs gris, il conserve des centaines de photos au Polaroid, des autoportraits en plan moyen, pris en général le matin, avant de saisir les pinceaux dans le grand atelier au dernier étage de la maison dans une rue tranquille de Saint-Germain-en-Laye. Cet exercice, le peintre se l'impose chaque jour «comme jadis la prière». En maillot de corps, il fixe l'appareil qui enregistre les traits d'un visage creusé par le passage des années. «Je veux mesurer cette destruction progressive. Certains jours, je rajeunis, j'ai presque l'air d'un adolescent. Sur d'autres photos, j'ai déjà le masque d'un cadavre», explique Ladislas Kijno, poète et philosophe à ses heures, peintre prolifique, coloriste flamboyant, ami de Picasso, de Hans Hartung, d'Edouard Pignon, de Sonia Delaunay, de la sculptrice Germaine Richier" Leurs tableaux et dessins recouvrent tous les murs, de l'entrée jusqu'au salon, au milieu de masques africains et de statues fétiches océaniennes. Le temps le hante autant que ces formes ovoïdes, galets et boules qui reviennent sans cesse dans ses tableaux depuis bientôt cinquante ans. Le temps transforme la matière. Elle se chiffonne et se rétracte comme quelques vieilles pommes qu'il garde et regarde depuis plus de vingt ans sur un coin de sa table de travail, au milieu de carnets de croquis, d'esquisses, de canifs ou de pinceaux.

«L'enfant naît fripé, le vieillard meurt fripé», répète volontiers l'ancien séminariste devenu athée, mystique de trop de dieux et a