Peut-on dire que vos premières interventions sur la «scène parisienne», à la fin des années 60, se dégagent du formalisme pour témoigner d'une vision plus anthropologique de l'art ?
J'ai été très marqué par les sciences humaines et Lévi-Strauss, comme toute ma génération. Avec dix ans de plus, j'aurais été un peintre abstrait expressionniste, alors que je n'ai aucun goût pour la peinture abstraite expressionniste. Mais au-dessus de l'individu, il y a un déroulement du temps. Je pense être un artiste expressionniste, mais un artiste expressionniste lié à une période précise de l'histoire de l'art. C'est déroutant car on pense avoir une maîtrise de son histoire, sans forcément être conscient qu'on se situe à l'intérieur d'un déroulement historique ; alors on dit la même chose, mais les mots qu'on emploie sont différents.
Pour ma part, j'ai commencé en 1969, j'ai connu Beuys en 1970, je savais que Warhol existait, du coup j'ai voulu faire des films. Il s'agissait plus d'une sorte d'environnement, de rencontres diffuses ressenties sans connaître vraiment. Je me souviens avoir vu en 1969 une pièce de Paul Thek, qui m'avait énormément impressionné. Même si je n'ai pas cherché à savoir qui il était, cette image s'est gravée en moi et m'a servi. Sans doute, on ressent son temps comme ça. J'ai été influencé tôt, grâce à Annette Messager, par l'art brut. Le côté décalé de l'art brut, par rapport à l'histoire de l'art classique, m'a certainement servi de leçon. J'étais impressionné par l'ambition énorme d'explication du monde dont ces artistes font montre et son décalage avec leurs moyens, dérisoires : un pauvre bout de papier crade pour représenter l'image de Dieu