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Libération
Critique

Estompes chinoises

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L’homme est devenu transparent dans la société. Pour protester contre cette mutation, l’artiste caméléon Liu Bolin joue l’effacement dans l’environnement. Son travail est exposé à Paris.
«Chinese Magazines», 2012, de Liu Bolin. (Photo courtesy GALERIE PARIS-BEIJING)
publié le 8 février 2013 à 22h37

Depuis huit ans, Liu Bolin répète la même photo. La même vareuse à épaulettes, inspirée de l’uniforme des années Mao qu’ont portées pendant des décennies des millions de Chinois dans l’Armée populaire de libération ou les unités de travail. Et toujours le même homme seul, immobile, les yeux clos, fondu dans le paysage.

Le décor change, mais il a l'air mort cet homme, en train de se décomposer, digéré par son environnement, les ruines, les slogans du Parti, le drapeau chinois, les rayonnages de supermarché. Mort mais debout, cet «homme caméléon», comme se définit Liu Bolin, n'est visible que pour ceux qui veulent faire l'effort de le voir. Il proteste de façon invisible, comme d'autres le font en silence.

Le mauvais élève se fait exclure du Parti

A l'origine sculpteur, il a décroché ses diplômes à l'université du Shandong en 1995. Intégré comme «excellent artiste» par le Parti, il s'en est vite fait exclure car «mauvais élève». Ses sculptures de paysans, d'ouvriers, de soldats étaient jugées caricaturales. Pendant des années, enseignant dans sa province, il a broyé du noir. «Dans la société chinoise, l'individu ne compte pas, c'est l'unité de travail qui décide de votre sort, a-t-il raconté. Moi, je ne trouvais pas ma place. Ce n'est pas que je n'avais pas envie de travailler, mais j'avais le sentiment d'être inutile, un surplus excédentaire.»

A la fin des années 90, il s’est installé à Pékin au sein d’un village d’artistes, Suo Jiacun, où vivaient déjà une centaine de peintr