«Quand j'ai rencontré la peinture de Chagall, écrit Aragon en 1968, je me suis mis à l'aimer comme les femmes, pour le maquillage, pour le désordre et la déraison.» C'est qu'il arrive une heure, un âge peut-être, où, n'aimant plus les femmes, on peut encore aimer les œuvres pour les souvenirs et le mauvais goût qu'elles déploient. Comme si, devenues difformes et fardées, dévalant les marches de leur notoriété, elles devaient finir sur le trottoir, perruque sur la tête et silhouette en déroute, rabâchant leurs gestes et leurs histoires à la foule des clients qui passent. La plupart ne viennent d'ailleurs que pour ça. Leur œil n'est touché que par ce qui le raye, l'alourdit ou le noie.
L'exposition que le musée du Luxembourg consacre à Marc Chagall permet de vérifier ce miracle renversé : comment un grand artiste devient peu à peu, à partir de la fin des années 20, la prostituée criarde, bondieusarde et répétitive de ce qu'il avait été. A la Bourse des peintres populaires, Chagall c'est comme Dali - dont la rétrospective au centre Pompidou fait fureur.
Renard. En 1995, le Musée d'art moderne de la Ville de Paris consacrait une exposition à sa grande époque, de 1907 à 1922. Il y a dix ans, la rétrospective fleuve du Grand Palais le célébrait sur le thème réactionnaire, mais à la mode, du héros «à contre-courant de l'art moderne».<