Il n'arrive jamais qu'un grand musée consacre une telle exposition à un marchand d'art, tant leur corporation soulève la méfiance des conservateurs. C'est donc à l'honneur du Quai-Branly d'avoir offert à Philippe Dagen cet espace pour rendre hommage à un découvreur des «arts nègres» : Charles Ratton (1895-1986). Ayant ouvert sa galerie en 1927 rue Lafitte, cet érudit, spécialiste du Moyen Age et de la Renaissance, dont il avait fait sa formation à l'école du Louvre, se prit d'une même passion pour l'Afrique noire coloniale. Ses sculptures se rangent «parmi les grandes traditions artistiques du monde», lançait-il en 1937, dénonçant ceux qui voulaient les reléguer à l'état d'«essais maladroits de peuples dénommés "sauvages", bonnes tout au plus à orner les panoplies des voyageurs ou les vitrines poussiéreuses des musées d'ethnographie».
Plus tard, dans le débat qui divisa la muséographie, il s'opposa à la remise des objets dans leur contexte ethnographique et culturel, souhaitée par un Georges Henri Rivière, prônant un regard purement esthétique. Point de vue repris sans hésitation par le critique du Monde, commissaire de l'exposition. Même s'il n'a pas obtenu tous les prêts qu'il aurait souhaités, sa sélection, comme ce grand masque banga de Guinée (acheté à Ratton par Picasso), ce tambour yangere en forme de vache ou cette étonnante statuette d'un monstre dévorant la tête d'un homme, que le marchand garda toujours à ses côtés par une forme d'ironie,