En 1906, un étudiant des Beaux-Arts madrilène de 19 ans arrive à Paris. Il s'appelle José Victoriano Gonzalez. Quelque temps plus tôt, il a pris le pseudonyme sous lequel, avec Picasso, Braque et Léger, il deviendra l'un des quatre grands cubistes : Juan Gris. Pourquoi ce nom ? «Est-ce à cause de la couleur, est-ce à cause de ce que ce nom peut avoir de modeste ?» se demande son ami Daniel-Henry Kahnweiler dans le livre qu'il lui consacrera.
Le jeune Gris, à Paris, vit pauvrement de dessins qui ne le sont pas. Il les vend à la presse satirique espagnole, puis hexagonale. Aujourd'hui, il travaillerait pour Charlie hebdo. Ce sont des scènes caricaturées ou dénonciatrices de la vie quotidienne : les pauvres, les riches, les taulards, les ivrognes, les cocottes, les bourgeois, les curés, les enfants des rues, les couples qui se trompent, les aviateurs d'avant-guerre, les conflits internationaux. On voit, stylisé, avec vigueur et cet instinct des formes et de l'espace propre aux cubistes, flotter les influences de l'époque, les unes hispaniques, les autres allemandes, d'autres françaises. Et on voit ce Paris d'avant-guerre «qui était encore celui des hommes au chapeau haut-de-forme, aux bottines pointues, des femmes aux manches-gigot, aux jupes longues serrées à la taille, le Paris des omnibus et des fiacres» (Kahnweiler).
Gris écrit lui-même les légendes au crayon sous le dessin, dans un français approximatif. Elles sont souvent modifiées par le journal