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Pop sans frontières à la Tate Modern

A travers une sélection de 160 œuvres d’artistes de 28 pays, le musée londonien aborde le courant du pop art sous l’angle de la diversité.
«Doll Festival», 1966 du Japonais Ushio Shinohara (Photo U. et N. Shinohara)
publié le 15 novembre 2015 à 18h16

Voici une exposition sur le pop art qui omet volontairement les figures tutélaires de Roy Lichtenstein et d’Andy Warhol. Il n’y a pas erreur sur la marchandise, la Tate Modern, qui organise à Londres ce grand barouf, est pourtant propriétaire du diptyque Marilyn de Warhol et du Whaam ! de Lichtenstein. Un charitable clin d’œil leur est tout de même adressé dans la toute dernière salle, par l’entremise des hommages de 1973 du duo russe Vitaly Komar et Alexander Melamid : une boîte de soupe Campbell et un extrait de comics, en piteux état.

Rappelons que le même musée organisait déjà en 2009 l’exposition «Pop Life : Art in a Material World», regard prospectif sur le legs du pop art à l’heure du capitalisme, via ses héritiers, de Damien Hirst à Takashi Murakami.

Rentabilité. Colorée et foisonnante, l'exposition «The World Goes Pop» se propose cette fois de décentrer le mouvement de la sphère anglo-saxonne où il a émergé dans les années 50. En dix pièces thématiques (le corps, le foyer…) et 160 œuvres qui courent jusque dans les années 70, l'accrochage entreprend de revisiter l'histoire du courant par ses excroissances à l'étranger (28 pays en tout), du Japon au Brésil. Ce nouvel angle d'attaque prend de revers le visiteur se croyant en terrain connu, et parvient à concilier l'impératif de rentabilité d'une expo dite «blockbuster» tout en renouvelant le regard, sans recycler ad nauseam les mêmes œuvres. Au contraire, la scénographie met en lumière des artistes sous-évalués ou peu connus en Grande-Bretagne (et chez nous !), quitte, selon ses détracteurs, à n'exposer que des croûtes de petits maîtres suivant un schéma interprétatif parfois tiré par les cheveux.

Si des patronymes nous sont familiers, comme Bernard Rancillac, certains, tombés dans l’oubli, le sont à raison. D’autres, que l’exposition tire d’une injuste obscurité, sont ici réhabilités. C’est le cas de la plasticienne Kiki Kogelnik, Autrichienne transfuge new-yorkaise ayant officié dans l’ombre d’artistes masculins canoniques.

L'occasion, aussi, d'exhumer des pièces jamais montrées ou enfouies dans des collections, telle l'installation monumentale faite de panneaux découpés comme un décor de théâtre du peintre français Henri Cueco, issu de la figuration narrative, les Hommes rouges, en référence à Mai 68.

Parcimonieux, le parcours se solde parfois par une trop grande lisibilité et un surplus de pédagogie contextuelle (tout l’inverse de nos institutions), chaque œuvre étant accompagnée d’un cartel explicatif. Difficile, par moments, de séparer inspiration et uniformisation, tant on retrouve dans la diffusion massive et concomitante de l’esprit du pop art par-delà les frontières occidentales certains motifs, comme les formats sériels tirés de la culture populaire ou les détournements de codes publicitaires.

Corsets. Cette autre histoire du pop art s'écrit surtout comme une résistance diffractée dans les marges : à la célébration frénétique du consumérisme anglo-saxon et à une imagerie de propagande, les artistes présentés ici opposent un contrepoint critique. L'exposition s'articule ainsi selon deux axes de subversion, politique et sexualité. Une large place est accordée à la contre-culture, en particulier à l'engagement contre la guerre du Vietnam avec des œuvres comme Enfin silhouettes affinées jusqu'à la taille, de Bernard Rancillac, où des corsets féminins se trouvent superposés à une scène de torture. Côté sexualité, l'exposition invite à redécouvrir le pop art par le biais de ses artistes femmes, souvent reléguées dans l'ombre pour avoir fustigé le carcan patriarcal. On en retient le canapé en vinyle fait de membres féminins de la Française Nicola L, résidente du Chelsea Hotel, ou les photomontages (un visage féminin horrifié enfermé dans un coffre de voiture) d'Eulàlia Grau, pionnière de l'art féministe en Espagne. Mécanicienne, la plasticienne Judy Chicago signe des capots de voiture laqués moins impressionnants que son ensemble Dinner Party, désormais exposé en permanence au Brooklyn Museum. Une salle ripolinée en rose bonbon est même entièrement dédiée à l'installation de fresques par la Slovaque Jana Zelibska. Son Kandarya - Mahadeva, temple hindou géant à la gloire du corps féminin, avec colonnes et miroirs, devait initialement être installé dans la rue avant d'être censuré.