Trois comédiens proches de Luc Bondy et ayant travaillé dans ses tout derniers spectacles (les Fausses Confidences, Tarfuffe, Ivanov) évoquent le metteur en scène.
Louis Garrel
«Il était un de mes meilleurs amis. Il y a des gens si vivants qu’on a peur que la vie s’arrête s’ils ne sont plus là. Luc est de ceux-là. Il était génial, aussi bien l’artiste que l’homme privé. Je l’ai rencontré lorsque j’avais 19 ans, et il m’a ouvert les portes d’un monde artistique élégant et rêveur, en me permettant d’assister à de nombreuses répétitions. Il a toujours été très anxieux, doutant toujours de lui-même, absolument pas sûr de ces idées ou opinions, discutant de tout avec une grande ouverture d’esprit et, en même temps, je crois que c’est une des personnes avec qui j’ai eu les plus grosses crises de fou rire, des trucs d’ados de 12 ans. Luc, au quotidien perdait tout, ses clés, ses livres, son téléphone, le code pour entrer dans son immeuble. Et puis, dès lors qu’il entrait dans un théâtre et endossait son rôle de metteur en scène, il y avait comme une volte-face de sa distraction, il était rassemblé, hyperconcentré plus rien ne pouvait lui échapper de ce qui se passait sur scène.
«Parfois, il s'agaçait que le cinéma soit plus à la mode que le théâtre mais il a toujours été un drogué de la scène. Il ne s'arrêtait jamais. Il compensait ses angoisses par une montagne de travail, y compris au risque de l'épuisement physique. Je me souviens l'avoir vu diriger Yvonne, princesse de Bourgogne [de Witold Gombrowicz, ndlr], après une opération du dos, allongé sur un lit d'hôpital au sein même de l'Opéra Garnier.»
Isabelle Huppert
«Nous croyions tous que Luc Bondy était invincible, puisque toute sa vie, il a prouvé qu’il l’était. Etre avec lui était une fête de chaque instant. Il réfléchissait constamment à mille choses à la fois, tout en étant absolument dans le moment présent. Avec lui, on était projeté dans la Mitteleuropa, un lieu sans frontière définie. Luc était beaucoup plus qu’un ami, car ce qui noue une actrice ou un acteur à un metteur en scène est au-delà du lien d’amitié… Mais bien sûr, il était impossible de travailler avec lui sans nouer une relation affective très intense. Il dirigeait les acteurs de telle manière qu’on ne ressentait pas sa direction. De manière organique, la troupe bougeait, le spectacle se modifiait, quelque chose surgissait devant lui, qui prenait forme, sans qu’on puisse en définir le processus. Avec lui, rien n’était jamais figé. Quelque chose d’impalpable flottait. Une musique : la sienne.»
Micha Lescot
«Je suis devenu ami avec lui, sans m'en apercevoir. Quand on a commencé à travailler ensemble la première fois, sur la Seconde Surprise de l'amour, de Marivaux, j'étais impressionné, j'avais une certaine idée du travail, et j'étais très surpris du rôle qu'il m'avait attribué. Je me trouvais mauvais, il ne me le disait pas. Attention, il ne me disait pas non plus que j'étais bon. Mais il avait l'air content. Et il a commencé à passer du temps avec moi. Je me demandais : «Est-ce qu'il me manipule ? Est-ce qu'il cherche à me détendre pour que je m'améliore ?» Et effectivement, j'ai fait des progrès. Sauf que ce n'était pas de la manipulation, je suis réellement devenu ami avec lui.
«En fait, tout était mêlé. Il ne se mettait pas au travail de manière protocolaire. Il pouvait dire quelque chose de très important entre deux pièces, lorsqu’on quittait un restaurant. Du coup, il fallait se tenir aux aguets, on était tout le temps en train de travailler, il envoyait des textos à 3 heures du matin, comme je ne dormais pas, cela tombait bien. Et il était imprévisible. On a fait cinq spectacles ensemble, et je serais bien en peine de définir une méthode. C’était quelqu’un avec qui on ne pouvait jamais s’ennuyer. On s’est mis à passer un temps fou ensemble, même sans parler. C’est peut-être cela, l’amitié.»