Après les clichés ectoplasmiques du couple d'excentriques Anna et Bernhard Blume affichés l'été dernier au centre Pompidou, à Paris, les forces de l'esprit conspirent cette fois du côté de l'annexe lorraine du musée. L'expo «Cosa mentale» invite à relire l'histoire de l'art moderne à l'aune de la télépathie, une proposition aussi technique que farfelue. Il y est question de la manière dont les découvertes scientifiques et la fascination pour l'occulte ont nourri les imaginaires artistiques du XXe siècle. Son titre est tiré de l'adage de Léonard de Vinci : «La peinture est chose mentale.» A ce sujet, pour qui se souvient des œuvres de Miró envisagées comme miroir de ses rêves, l'exemple que l'on connaît le mieux est sans doute celui des surréalistes, fascinés par les champs magnétiques et l'hypnose.
«C'est une histoire de la matérialisation de la pensée», résume le commissaire, Pascal Rousseau. Avant Dalí et Breton, suivant l'exemple d'un certain Louis Darget se collant une plaque photographique sur le front pour visualiser la forme de ses songes, les artistes ont imaginé dès la fin du XIXe siècle les possibilités d'une transmission immédiate de la pensée ou du sentiment sur la toile, tel Odilon Redon portraitisant l'aura de Gauguin.
Après le recensement de ces débuts balbutiants, l'accrochage propose une relecture des codes de l'abstraction comme indicateurs d'états émotionnels. «Les paysages sont souvent en réalité des portraits auratiques», précise le commissaire. Pour le Tchèque Frantisek Kupka, «l'avenir était télépathique, l'abstraction n'était qu'une étape».
Les salles les plus distrayantes sont occupées par les productions utopiques de la contre-culture et remplies d'objets new age tel le Mind Expander, grosse capsule immersive conçue par collectif autrichien Haus-Rucker-Co en 1968. Parfois composée à partir d'ondes cérébrales, la musique expérimentale illustre bien l'essor d'un art conceptuel qui se rêve sans médiation avec le cerveau du spectateur. Le prix de la salle la plus trippante revient à une vidéo cosmique de Jordan Belson, icône du cinéma psychédélique, véritable invitation au voyage intérieur (et à l'abus de psychotropes).
Annonçant l’avènement des télécommunications, des réseaux et de l’art numérique, «Cosa mentale» se déploie à partir de points de vues cosmiques et azimutés, par moments trop pointus - à moins d’être soi-même médium.