Quand, comme Julien Carreyn, votre travail tient surtout et d’abord dans des petits dessins à peine plus grands que des cartes postales, ou bien des photographies imprimées en A4, taille fanzine, il y a de quoi vous arracher les cheveux au moment de passer au stade de l’exposition : vos œuvres risquent de flotter sur les murs blancs comme des gringalets endimanchés dans un costume trop large.
Grilles. D'autant que les images de cet audodidacte - arrivé tôt dans le fanzinart (dès ses 10 ans à Angers, il réalise ses premiers crobards sur la moquette de l'étude notariale du paternel) mais tard dans l'art contemporain (aux environs de la trentaine, après une décennie 90 à faire le DJ) - affichent des sujets et des couleurs qui se tiennent sur la réserve.
Rien d’ostentatoire ni de compliqué, mais un charme discret de bourgeoisie de province. Les images de Julien Carreyn lorgnent les sous-préfectures, les bourgs perdus en rase campagne, les pavillons de banlieue clôturés, gardés par un chien pataud qui pointe son museau à travers les grilles, les boutiques fermées entre 12 h 30 et 15 heures, les monuments aux morts au pied desquels sèchent des roses encore emballées, ou encore une salle du conseil municipal avec son buste de Marianne, son lustre aux ampoules en forme de bougies, son papier peint rayé aux murs et, au milieu, une femme qui, ayant enlevé le haut, fait palpiter au cœur de cette photo au charme suranné un érotisme très pur, très nature, lui-même un peu daté. Les nus de Julien Carreyn nourrissent un raffinement académique qui fuit le côté débauché que peuvent prendre, par exemple, ceux d’un Jürgen Teller, et fuit aussi le côté luisant des corps sur les tirages brillants.
Filtre. A la galerie Crèvecœur, l'artiste projette des petits films en noir et blanc qu'il réalise depuis des années pendant les séances de poses. Tout en grisaille, les images tressautent, cernées par des traits graphiques qui font une espèce de cadre et d'écrin à ces filles qui ont l'air occupées par tout autre chose que l'objectif qu'elles regardent peu. Elles semblent vaquer à leurs affaires. Elles vont et viennent. Elles découpent au ciseau des formes carrées ou rondes dans des bouts de papier. Pas un hasard, chez l'artiste qui revient lui-même toujours finalement au papier. C'est là son support, son outil, son filtre, son horizon, avec l'imprimante, choisie pour la trame qu'elle laisse sur les images, et puis les cartouches d'encre de couleurs, notamment un rose chair très tendre.
Ce n’est donc pas tant la pose du modèle que la manière dont son image va se poser ou se coucher sur le papier qui occupe Julien Carreyn. D’où des tirages et un accrochage qui explorent les possibilités plastiques sous toutes les coutures imaginables, à condition qu’elles évitent la pompe et la préciosité. A la galerie Crèvecœur, nulle image délicatement cernée d’une traditionnelle marie-louise, pas de cadre en bois non plus, aucun chichi de ce genre. Mais plutôt des petits rectangles de Plexiglas sur lesquels des photos ont été directement imprimées, ces objets faisant alors office de presse-papiers posé sur des tables à côté de paquets de photos qu’on feuillette, sans gants blancs, sous l’œil goguenard de totems en grès fabriqués par une petite dame artiste, une certaine Claudine Monchaussé.
L’idée de meubler l’espace de la galerie comme un notable de province meuble sa salle d’attente, avec un minimum de goût (pas nécessairement bon, ce serait trop ennuyeux), revient en partie à Benoît Maire, artiste qui vient moins jouer les curateurs que donner un coup de main à un copain, dont on sait que le projet initial se voulait plus sobre et uniforme, moins composite et éclaté. Benoît Maire a donc joué ce rôle de spectateur distrait et touche-à-tout se permettant de casser les séries si minutieusement assemblées (et parfois empaquetées dans des boîtes) par Julien Carreyn, se permettant d’effeuiller et de désagrafer ses livres. Le résultat l’a tellement séduit que l’artiste se dit désormais qu’il ne procédera plus autrement, et laissera d’autres que lui arranger ses images dans l’espace. Dit autrement, il trouve là le prétexte de rester dans l’espace de la page, et de se tenir, avec une élégance désuète, hors du coup. «Photographies du soir», bonsoir.