Catherine Meurisse a perdu la mémoire après les attentats du 7 janvier 2015. Ce mercredi-là, elle traîne, attachée au lit par une tristesse amoureuse. Dans la rue Nicolas-Appert, elle croise Luz qui lui dit : «Ne monte pas. Il y a une prise d’otages à Charlie.» Elle se cache, entend le bruit des tirs de kalashs, une fois, peut-être deux, elle ne sait plus bien. Puis l’effroi, les locaux transformés en Radeau de la Méduse, comme le lui raconte une voisine. Elle ne réussit pas à aller voir elle-même. Dans les jours qui suivent, elle a le sentiment de quitter son corps. Cela a un nom scientifique : l’état de dissociation. L’esprit s’échappe pour ne pas avoir à se supprimer. Elle soupire : «J’oubliais de manger, j’étais complètement à côté de mes pompes. J’étais sortie d’une forme de vie humaine.»
Un an et demi après, la dessinatrice va mieux. C'est la première question qu'on lui pose, et ce n'est pas qu'une simple formule de politesse. «Ça va ?- Oui, ça va.» Elle rit : «Je crois.» Elle publie une bande dessinée émouvante et brillante, la Légèreté, où elle raconte le chemin qu'elle a parcouru pour retrouver la mémoire et le goût de vivre. Elle dit : «J'ai fait le premier dessin de cet album quand Luz a publié Catharsis. Il a osé dire "je". Ça m'a frappée. Jusque-là, on disait "nous", on pensait collectivement, on était ensemble. J'ai cru qu'il nous abandonnait, mais c'est ce qu'il fallai