Shabam ! C'est en tenue de Barbarella qu'il aurait fallu visiter l'expo consacrée par le centre Pompidou au décorateur et designer français Pierre Paulin (1927-2009). Fauteuils champignons, sièges-tapis, tables lumineuses : on nage dans l'esthétique fonctionnelle et pop des Trente Glorieuses, où l'on produisait des icônes à la chaîne. Pierre Paulin, inventeur de la chaise Ruban, concepteur d'un extraordinaire «igloo» de textile pour les appartements privés de l'Elysée - «les Français ont besoin de modernité, je vais montrer l'exemple», lui avait dit Georges Pompidou - est enfin célébré par l'institution qui l'ignora de son vivant.
L'expo vaut pour cette plongée historique, ce reflet d'une époque où le design servit à vendre une certaine idée de la société, plus que pour une quelconque pureté des formes. Paulin fut le premier à reconnaître qu'il n'avait pas, disons, le talent de Ray et Charles Eames, mais qu'il avait su «pousser les lignes» un peu plus loin que d'autres - et avec audace, ajouterait-on.
Très lisible, le parcours chronologique déroule une carrière qui s'épanouit à l'âge d'or du design démocratique, juste avant son éclatement en chapelles variées. Ce diplômé de l'école Camondo, qui rêva plus jeune d'être sculpteur avant qu'une blessure au bras ne le réoriente vers le dessin industriel, se tenait à distance des intellectuels italiens, qu'il accusait d'avoir «mélangé la politique avec le design». Il se définissait comme «aventurier et autodidacte», et admira toujours l'inventivité fonctionnelle des Anglo-Saxons et des Scandinaves. Au début de l'expo, ses premiers modèles sont autant d'emprunts respectueux à ses maîtres - son fauteuil grillagé, dit Tripod Cage, louche ainsi vers la Diamond Chair de Harry Bertoia, voire la Coconut Chair de George Nelson. Il faut attendre les années 60 pour que l'inventivité de Paulin s'exprime à plein, lorsqu'il utilise des jerseys extensibles pour habiller ses chaises. Hop, la housse de couleur s'enfile «comme un maillot de bain» sur les structures tubulaires, et transforme ses sièges en assises d'un seul bloc, sensuelles et confortables. Pour preuve, ces fauteuils qui émaillent le parcours, où le visiteur peut s'asseoir pour regarder un film, et dont il ne veut plus ressortir. Pour que l'expérience immersive fût totale, encore aurait-il fallu recréer un de ces environnements immersifs dont Paulin avait le secret, et dont l'igloo de l'Elysée, présent à travers un film et une petite maquette, fut le plus flamboyant exemple - hélas détruit, mis à part une pièce, par Valéry Giscard d'Estaing à son arrivée au pouvoir.
On ose à peine, face à ces formes sympathiques, avouer que le clou de l'expo fut peut-être pour nous ce film vu depuis une chaise champignon. Paulin, en gilet beige et cravate, y confie son amour du «puritanisme» en design. «Qu'on en finisse avec ce flirt abusif avec l'art, qui a des conséquences financières excessives, s'emportait-il. On dessine pour le public !» Elle est là, désormais, la vraie transgression.