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Superpositions

Bas Princen, panoramas déconstruits

Par ses recadrages de paysages saisis dans divers pays, le Néerlandais recrée des architectures imaginaires.

Petra par Bas Princen. (Photo Bas Princen. Courtesy Solo)
Publié le 04/08/2016 à 17h11

Plus accoutumé aux paysages et aux bâtiments, l'artiste néerlandais Bas Princen a capté des images d'images formant des architectures : des vues de paysages sur des fresques italiennes, délicates et abîmées, du Palazzo Pubblico, à Sienne. Ces tirages très grand format imitent la texture mate et crayeuse de ces peintures murales du XIVe siècle. Imprimés à l'encre sur un papier japonais, les vues peintes par Ambrogio Lorenzetti il y a plus de six siècles n'en deviennent que plus réalistes. Ces reproductions fidèles de collines douces, d'animaux en liberté, de villages roses au soleil couchant et d'harmonieux travaux des champs appellent presque la caresse. Soudain proches de nous, ces décors toscans ressemblent à une Arcadie dont le style rappelle les miniatures persanes.

Ambiguïté. Né en 1975, Bas Princen est surtout connu pour ses Arcadies artificielles : en 2004, il avait publié un livre montrant ses concitoyens à l'assaut de leur environnement pendant leur temps libre - VTT, parapentes, voitures téléguidées, moniteurs GPS et Internet étant les nouveaux gadgets de la domination de l'homme sur le paysage. Tout ce qui modifie la nature intéresse le photographe. Diplômé en architecture à Rotterdam et en design industriel à Eindhoven, Bas Princen travaille régulièrement avec des architectes. S'il s'est arrêté en Toscane pour photographier ces peintures près du plafond, ce n'est pas seulement parce que Rem Koolhaas le lui a demandé - elles figuraient dans l'expo «Fundamentals» à la Biennale de Venise en 2014.

Mais l’idée de Bas Princen était de montrer que, dès ses origines, l’architecture est constituée d’images. Pour suivre ce fil d’Ariane, il est allé à Petra (Jordanie), au Suriland - une ex-colonie néerlandaise -, au Mali dans une mosquée difficile à photographier, ainsi qu’à Dendara (Egypte). Chaque fois, il s’est attardé sur l’ambiguïté des formes, naturelles ou artificielles, laissant planer le doute sur leur archéologie.

Mille-feuille. Souvent dans ses photographies, visibles actuellement à la galerie Solo (Paris IIIe), il est difficile de distinguer la trace humaine de la forme naturelle, comme à Petra où le marbre, mille-feuille de chairs rose et blanc, dessine les contours d'une porte. Plus loin, les strates de la mine d'or du Suriland ressemblent à une gourmandise sucrée - par ailleurs un poison pour l'environnement, puisque cette extraction nécessite de rejeter du mercure dans les sols à grande échelle. «Il y a une forme de beauté à cette destruction», commente-t-il.

Passé au numérique depuis un séjour à Singapour (il n'y existe pas de labo argentique), Bas Princen, attiré par le factice, se plonge de plus en plus dans la contemplation de la nature : «C'est un super défi pour un photographe.» Il s'oriente aussi vers l'installation. A la Biennale de Shenzen, il a présenté ses photos de murs anciens égyptiens sur des parois concaves formées de petites pierres construites pour l'occasion. On peut en voir la maquette dans l'exposition. Pour Bas Princen, l'image doit sortir de son cadre. Elle peut devenir édifice. Car si l'on renverse les perspectives, l'architecture aussi est une image.