La dimension parodique du titre de l'exposition prête volontairement à sourire, sans que celle-ci soit pour autant réductible à une simple lecture farfelue : «Tear My Bra» («Déchire mon soutif») sonne avant tout comme un hommage à l'industrie cinématographique de Nollywood, le Nigeria étant depuis le début des années 90 le deuxième plus grand pourvoyeur mondial de films, derrière l'Inde et devant les Etats-Unis. Mais, par-delà l'aspect quantitatif, le propos consiste aussi, à travers diverses déclinaisons, à extrapoler le rayonnement de ce business sur la culture africaine contemporaine, le directeur des Rencontres d'Arles, Sam Stourdzé, se félicitant au passage d'offrir ici une image du continent «réjouissante, dynamique et créative, à rebours des clichés tragiques et misérabilistes que véhicule ordinairement le photoreportage».
«Tear My Bra» séjourne encore pendant un mois à Ground Control, cet ancien bâtiment de la Sernam situé juste à côté de la gare, nouvellement affecté au festival. Y cohabitent donc deux projets auxquels on ne pourra toujours pas reprocher une quelconque étroitesse d'esprit : «Phenomena, réalités extraterrestres», sur le mythe des ovnis investigué aux Etats-Unis par trois jeunes Danois (lire Libération du 5 août), et cette plongée dans le cinéma made in Lagos, dont la première salle donne la teneur gentiment azimutée avec, ruisselant de couleurs criardes, un mur d'affiches de films aux titres et visuels sans ambages : War Against Men, Great Mafia Gun, Blood Communion, Spider Girl, etc. Autant dire du cinéma populaire pur jus, cheap (budget moyen : 12 000 euros, durée de tournage : quelques jours) et ringard à souhait (héros surarmés et grimaçants)… Pour autant qu'on lui applique les canons occidentaux en vigueur, mais qui justifie, selon le Nigérian Azu Nwagbogu, commissaire de l'exposition, une lecture autrement conquérante : «Nollywood traduit une capacité à construire et raconter nos propres récits. Quitte à apparaître parfois simplistes, ils n'en constituent pas moins les éléments d'un langage artistique qui nous est propre et que nous, Africains, devons encourager au-delà des seules frontières du Nigeria.»
Prétexte à déclinaisons identitaires, «Tear My Bra» convie une douzaine d'artistes désireux de réécrire l'histoire, du Nigérian Uche Okpa-Iroha introduisant une touche de négritude dans un détournement du Parrain de Coppola, à son compatriote Iké Udé, réunissant la fine fleur de Nollywood sur une photo monumentale inspirée du célèbre tableau de Raphaël, l'Ecole d'Athènes. «Une référence contemporaine replacée dans une perspective historique pour mieux se projeter dans le futur», se félicite Azu Nwagbogu.