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Interview

Elliott Erwitt : «Des photos solides, avec une légèreté bien à elles»

Pour l’Américain Elliott Erwitt, ami des années Magnum, les images de Marc Riboud avaient une forte personnalité, et leur style n’a jamais varié.
publié le 31 août 2016 à 20h51

Elliott Erwitt partageait avec Marc Riboud une admiration sans bornes pour le travail d’Henri Cartier-Bresson, et une manière de laisser percer son humour à travers ses photos. Les deux hommes se connaissaient depuis leurs débuts à l’agence Magnum, et le photographe américain de 88 ans a bien voulu évoquer cette longue amitié, au téléphone depuis sa maison de Long Island.

«Nous avons commencé à peu près au même moment chez Magnum, mais on ne s'est pas rencontrés tout de suite. Il voyageait beaucoup, notamment en Asie, et moi j'étais ici, à New York. Je ne me rappelle pas exactement de la première fois où l'on s'est rencontrés, mais je me souviens qu'il était timide. Et très intelligent. Et que parmi les photographes, il ne semblait pas avoir un ego aussi démesuré que d'autres ! (rires) Il s'intéressait au travail de ses collègues. C'était une période très différente, la photographie était bien plus appréciée alors, c'était l'âge d'or des magazines. C'est dans leurs pages qu'on montrait notre travail, alors qu'aujourd'hui, on a tendance à être relégués dans des expositions. Le milieu était très vivant, il régnait un esprit collectif, une camaraderie qui faisait que l'on se retrouvait parfois à éditer les images des autres. Pour Marc et moi, alors, et encore aujourd'hui, le parangon, c'était Henri Cartier-Bresson. D'ailleurs, les photos de Marc ressemblent un peu aux siennes, tout en conservant leur personnalité propre, et sa signature à lui.

«Les photos de Marc étaient tout simplement de bonnes photos. Le sujet n’avait presque pas d’importance, enfin, une importance secondaire : les images étaient bien organisées, bien composées, belles. Son style n’a jamais changé, il est toujours resté fidèle à lui-même, si bien qu’un cliché récent de Marc ressemble à un cliché ancien de Marc. Son style ? Pas agressif, ni pompeux ni dramatique. Des photos solides, avec souvent une légèreté bien à elles. Je ne pourrais pas vous en isoler une, même s’il y a, parmi ses photos faites en Chine, de merveilleuses images. Je pense à l’une d’elles, où l’on voit des Chinois en train de boire du thé et de manger des gâteaux, mais en fait, le sujet n’était jamais le plus important avec lui. Il n’y avait généralement aucune raison évidente d’appuyer sur le déclencheur au moment où il le faisait, et pourtant la photo était bonne. C’était cela, sa grande force. Que puis-je vous dire d’autre ? C’était mon ami, c’est tout. Je n’en pense que du bien. Il était intelligent et accessible. J’ai toujours trouvé intéressant qu’il vienne de cette illustre famille de gens à la réussite flamboyante : son frère Antoine, son frère Jean, même s’il n’en parlait jamais. Lui était un peu le mouton noir de la famille, toujours très discret.»