L'exposition «Kim Gordon & Rodney Graham» est, à bien des titres, une exposition sortie de derrière les fagots. D'abord parce qu'elle se situe au milieu des vignes de Vosne-Romanée, en Bourgogne, dans une maison qui fit office au XVIIIe siècle de cuverie du prince de Conti - et que le Consortium de Dijon, qui ne fait rien comme les autres centres d'art, a investi depuis deux ans. Puis, surtout, elle dévoile une facette méconnue de l'ex-membre de Sonic Youth qui n'a pas attendu que son groupe post-punk new-yorkais se sépare (en 2011, concomittament à son divorce avec Thurston Moore) pour se mettre aux arts plastiques.
Scène alternative. Kim Gordon peint (entre autres) depuis toujours et a été en la matière à bonne école. Diplômée de l'Otis Art Institute de Los Angeles à la fin des années 70, elle s'est frayée son bonhomme de chemin dans le monde de l'art en commençant par travailler dans la boutique de posters de Larry Gagosian (le galeriste surpuissant aujourd'hui) avant de partir pour New York en bagnole avec Mike Kelley. Dans Girl in a Band, son autobiographie parue en 2015, elle a raconté ce trip et la suite, une première expo en 1981, à White Columns, temple de la scène alternative autour de laquelle gravite aussi Jeff Koons, Richard Prince, Dan Graham et tant d'autres. Elle les côtoie tous. Sonic Youth naît dans ce contexte et les pochettes et clips du groupe réalisées par Raymond Petitbon ou Tony Oursler rappellent ce terreau artistique. On en était resté là et Kim Gordon aussi, qui, faut-il croire, a dû délaisser son travail plastique. Mais, depuis 2012, elle a une galerie (la très courue 303, à New York) et a notamment participé l'an dernier à Manifesta, biennale itinérante. Voilà pour le CV artistique.
C'est la première fois qu'elle présente ses peintures en France. On découvre des toiles aux dégoulinures maîtrisées, affichant des slogans énervés. La facture est celle des graffitis sprayés hâtivement. Mais, ici, les mots sont faits au pinceau et l'écriture, ronde et onctueuse, prend un air plus distant, plus doucereux par rapport aux messages affichés. La couleur utilisée, cet ocre doré brillant des couvertures de survie en mylar ou des robes de soirées lamées, prend la lumière avec des éclats mi-tristes mi-vulgaires. «Resist resist» est-il écrit, ou bien «White male corporate oppression» ou encore «You don't own me», avec à chaque fois en haut de la toile le signe «#» des hastags. Soit une peinture connectée et déconnectée à la fois, prélevant sur les réseaux sociaux des bribes et des motifs de révolte (féministe) en les ramenant sur une toile de lin avec une griffe expressionniste ménageant parcimonieusement ses effets. Pas spectaculaire, plutôt lacunaire (il n'y a que ça, diront certains), courageux, donc.
Autofictions. Côté Rodney Graham (bien que dans l'espace, l'accrochage soit combiné), c'est encore une œuvre de derrière les fagots : des toiles où, comme sur des pin-boards, le Canadien, connu pour ses autofictions sur caissons photographiques, a collé et maculé de peinture blanche des images découpées dans des magazines de groupes de hard rock et qui achèvent de ramener toute l'exposition vers le background musical de ses deux protagonistes.