C'est une peinture de fête, un peu trop arrosée de cocktails traîtres. Les tableaux dégoulinent, des confettis et des bijoux de pacotille grêle leur surface qui brille encore sous l'effet des couches abusives de vernis, de glacis, d'acrylique et d'enduits industriels que John Armleder a déversés dessus. Sans trop y toucher. Car, à 69 ans, le Suisse, décontracté du pinceau, ne déroge guère à sa méthode, mise au point dès ses années Fluxus. L'artiste ne tient vraiment pas à avoir la main sur l'œuvre, qui doit tout au hasard et au cours des choses. De même, ces peintures exposées à la galerie Almine Rech résultent des réactions chimiques que, sur une toile posée au sol, les liquides déversés déclenchent entre eux : on voit bien que ça a bouillonné et que ça a chauffé. La surface est magmateuse par endroits. Une fois la toile redressée, le travail a continué : la matière a coulé bas, mettant une touche finale à ces Puddle Paintings, soit des peintures de flaque ou plutôt qui font flaque, comme celle dans laquelle on marche par inadvertance.
Mais, si Armleder n'a pas voulu faire gaffe au résultat, il n'empêche : il charge la mule exprès. Avec leurs teintes iridescentes, ostentatoires au point d'en devenir un peu vulgaires, les Puddle Paintings reflètent l'époque et le goût des autres sur le marché de l'art contemporain, prisé des plus riches. Alors, si cette peinture en jette, c'est aussi parce qu'elle prévoit qu'elle finira dans des intérieurs qu'elle n'aura pas choisis. Prenant les devants, à la galerie Almine Rech, Armleder ménage un accrochage décoratif, installant ses toiles sur des murs peints et disposant ça et là quelques plantes vertes, réminiscences de ses Furniture Sculptures, des diptyques composés d'une peinture et d'une pièce de mobilier. Une manière de faire rentrer dans le rang la peinture abstraite (et ses rêves modernes d'ordre et de progrès) sans l'empêcher de tâcher le canapé et de gâcher la fête.