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Libération
Critique

Attraction fractale

Entre jeu sur PC et installation graphique, «Fugue in Void» propose une splendide déambulation dans un dédale d’architectures hypnotisantes.
A trop progresser dans le noir, les repères spatiaux se dissolvent. (DR)
publié le 26 août 2018 à 17h06

La frontière du jeu vidéo tel qu'on l'envisage de façon classique est déjà loin derrière. On pourra crier à l'imposture, hurler que poussé à de tels extrêmes, le walking simulator (genre où la déambulation tient lieu de gameplay) n'est plus un jeu. Peu importe. On a traversé la chose en apnée, secoué de la même façon qu'on l'avait été par le tellurique épisode 8 de la dernière saison de Twin Peaks.

Fugue in Void est une installation qui se pratique sur PC, un parcours dans un océan brutaliste parcouru d'explosions fractales. Une expérience qui parvient à provoquer une peur primale à l'égard de l'architecture. L'absence de système de sauvegarde oblige à traverser la chose d'un trait, de préférence au casque et dans le noir. Une heure étouffante à marcher sans fin ni but entre les arêtes saillantes d'un temple dressé au béton, au pouvoir d'hypnose de la répétition géométrique. Un dédale glacé et déshumanisé, fracturé par des crissements métalliques et des crépitations électriques, avant que ne retombe le silence et le vide sidéral du bruit de pas qui se perd en interminables échos. Au hasard de vestibules vides et de couloirs infinis, surgit une canopée façon H.R. Giger ou un casse-tête stroboscopique de tubulures fantômes. A trop progresser dans le noir, les repères spatiaux se dissolvent. A force de répétition de motifs gris sur gris, c'est l'image qui semble s'éteindre, se disloquer dans son grain.

Aussi splendide qu'éprouvant nerveusement, Fugue in Void est une terre de monolithes, une extension hantée du Stalker de Tarkovski ou encore des cavalcades saturées de Godspeed You! Black Emperor. Quand l'air entre enfin, l'esprit du joueur est déjà loin. Ce n'est plus une cathédrale de ciment qu'on explore mais l'architecture neuronale d'un inconscient. De son jeu, le développeur Moshe Linke dit simplement : «It's my all, my everything.»