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Libération
Critique

Céramique danoise : joindre l’argile à l’agréable

En 300 pièces de collection, la Maison du Danemark retrace, sur un siècle, la vitalité et la poésie de cet artisanat.
Deux pièces de l’artiste contemporaine Bodil Manz. (Photo Erik Balle Povisen)
publié le 4 février 2019 à 17h46

Voyons, l'île de Bornholm, au Danemark… Des falaises abruptes, des villages battus par les vents, des forêts de conifères ? Et sans doute aussi quelque chose, dans l'air ou dans l'eau, qui explique la concentration de génies qui y exercèrent ? A défaut de s'être rendu en mer Baltique, c'est ce que laisse à songer la belle et très dense exposition à la Maison du Danemark, à Paris (VIIIe) : «100 Ans de céramique danoise» présente quelque 300 pièces issues de collections privées, petits bijoux humbles et fonctionnels mais chargés de poésie, qui irradient de tons grèges et argileux, ceux-là même qu'on trouverait dans les peintures de Vilhelm Hammershoi. Les pots, assiettes et vases sont réunis à touche-touche sur un immense plateau, et parmi eux figurent en majesté ceux créés, souvent par des femmes, dans l'île de Bornholm, unique gisement d'argile à grès du pays.

Quelque chose dans l'air et dans l'eau, donc, et dans la terre certes, mais aussi dans la manière dont la céramique danoise s'est organisée, au long du XXe siècle, en nœuds de création - les grandes manufactures - qui ont eu la bonne idée d'embaucher des artistes pour grossir les rangs de leurs potiers. Nous sommes peu après l'Arts & Crafts anglais, qui revendiquait, en réaction à l'industrialisation naissante et la froideur des objets fabriqués en masse, qu'on puisse déceler dans ces produits la main humaine : on en voit ici une filiation. Si l'île de Bornholm et la manufacture Hjorth ont concentré un maximum de splendeurs (les plus belles signées de Gertrud Vasegaard, aux glaçures transparentes, aux motifs répétitifs abstraits, tels ces petits triangles bruns sur une boîte, rappelant des plumes d'oiseaux), l'intention d'humaniser est manifeste dans d'autres lieux et d'autres «écoles». D'où, par exemple, la profusion ici de coulures et autres dégradés accidentels, ou l'absence d'arêtes trop vives, et la préférence donnée aux formes organiques, qui offrent un lointain écho de la nature. Une splendeur fait place à une autre, jusqu'aux contemporaines radicales Alev Siesbye et Bodil Manz, et le tout mérite qu'on ne se laisse pas intimider par la vision initiale d'une profusion étourdissante et d'un manque de cartels. Se saisir plutôt du feuillet explicatif, et plonger dans l'argile.