Dan Flavin, ça commence avant d'avoir commencé. Par exemple à l'extérieur de la galerie, devant la porte d'entrée vitrée. S'en s'échappe un halo rougeâtre, émis par l'une de ses œuvres en tubes fluorescents. D'ailleurs, le jour de la visite, un gamin passant devant tire sur le bras de sa mère («Oh, c'est beau !») avant même d'avoir vu la chose - mais non, la mère ne rebrousse pas chemin, elle entend bien aller en face, chez Xippas, voir l'expo Joel Sternfeld.
L'Américain (1933-1996) appelait ses œuvres des «situations», et c'est vrai qu'il se passe toujours quelque chose lorsque l'on est baigné dans ses particules de lumière. Son ami Donald Judd, le pape du courant d'art «minimal» (il détestait l'appellation), l'a mieux dit : «I want a particular, definite object. I think Flavin wants, at least first or primarily, a particular phenomenon» («Moi, je veux un objet particulier, défini. Je crois que Flavin veut, d'abord, un phénomène particulier»). La galerie du géant new-yorkais David Zwirner, récemment installée à Paris, propose de se familiariser avec ces «phénomènes particuliers» en exposant dix de ses œuvres courant sur trente années de carrière. C'est une superbe petite démonstration du projet Flavin : transformer l'espace radicalement avec un minimum de moyens, c'est-à-dire des tubes trouvés dans le commerce ; faire disparaître la main de l'artiste (et les rodomontades égotiques de l'expressionnisme abstrait qui l'ont précédé) ; changer jusqu'à l'appréhension d'un lieu, la manière d'y circuler, grâce à des variations de lumière et de chromie. En définitive, créer avec la lumière pour tout matériau. Un art «sans mystère», une «magie inexpressive».
La pièce maîtresse de l'expo est une «barrière» (Untitled, 1970) installée à l'origine dans le loft de son ami Judd. Elle est formée de douze très grands rectangles se chevauchant à intervalles réguliers, bordés de tubes bleus en bas en et haut, et de tubes rouges sur les côtés. La répétition, le systématisme, la ligne de fuite donnent l'impression que l'œuvre pourrait se propager à l'infini. La grande pièce sous verrière où elle est installée se nimbe de bleu, et le sol en béton réfléchit les segments de lumière. Il faut l'arpenter pour tout à coup perdre ses repères, et jusqu'à l'appréhension même de l'espace qui l'entoure.
Une autre salle n'expose que des œuvres faites de tubes blancs - elle n'en est pas moins très satisfaisante : un néon posé en diagonale sur le mur, Leaning Diagonal of March 27, 1964 (to David Smith), découpe magnifiquement l'espace en volumes et plans invisibles. Dans la dernière pièce, l'installation de quatre œuvres de 1987 jouant de la répétition et la variation, Untitled (for Frederika and Ian), fonctionne comme la toute bête application d'un théorème mathématique (cinq néons roses, un néon rouge ; trois néons roses, un rouge et un jaune ; trois roses, un jaune et un bleu, etc.) mais n'en finit pas de créer un émerveillement qui, lui, n'a rien de mécanique.