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Libération
Critique

Art / Walter Van Beirendonck, mots pour maux

Le créateur de mode anversois revient à la galerie Polaris à Paris avec ses installations à messages, militant pour les libertés individuelles et plus de créativité.
publié le 24 janvier 2020 à 20h46

A peine quinze jours après les attentats du Bataclan en 2015, Walter Van Beirendonck arborait un tee-shirt avec un slogan brodé : «Stop terrorizing our world». Fabriqué à la dernière minute, le vêtement répondait au terrorisme et affichait le cri du cœur du couturier flamand, adepte d'un style flamboyant et porteur de messages. «C'est cette rapidité que j'aime dans la mode. L'art est lent, la mode est rapide», confiait-il en installant son expo chez Polaris.

Pour son retour dans la galerie parisienne, Walter Van Beirendonck n'a pourtant pas perdu de temps. Son défilé de la collection hiver 2020-2021 tout juste terminé à Belleville, le voilà qui essaime ses messages dans le Marais, et glisse allègrement du podium à l'espace d'art contemporain. Au centre de la galerie, de grandes silhouettes noires à longs poils portent des surcots en paillettes, plus tôt présentés par les mannequins durant le défilé. Dociles, ces grands yétis-doudou sont les porte-parole du styliste anversois, dont les cris de guerre pacifiques ornent les brillantes cottes d'armes en mousse. Au milieu d'aliens, de fleurs, de monstres, de squelettes aux couleurs pop, on lit des maximes en faveur des libertés individuelles, de l'écologie, du respect et de la création débridée, tels des mantras naïfs et nécessaires : «Ban banality now» («Bannir la banalité, maintenant»), «Stop violation of our privacy» («Non à la violation de notre vie privée»), «Save the planet» («Sauvez la planète»).

Pendu par les pieds. Avec ses armes déconcertantes de bonne foi, d'énergie et d'enthousiasme, Van Beirendonck déclare la guerre au pessimisme, à la violence, au repli sur soi, à la haine, au manque d'imagination. «C'est le moment de réagir, cette année encore plus que d'habitude. Le nom de la collection, WAR, est venu il y a quatre ou cinq mois et pourtant je n'avais pas prévu les tensions entre les Etats-Unis et l'Iran. J'ai l'impression qu'il n'y a plus d'équilibre», s'inquiète le styliste qui milite pour l'imbrication de l'art et de la vie («on a le droit à la beauté»). A côté des yétis en peluche, des figurines en perles - des walterman - reposent sur des socles blancs, au milieu de décors en broderie. «Chaque sculpture raconte une histoire et le personnage barbu au centre, c'est moi, toujours dénudé avec un zizi», explique Van Beirendonck qui se représente tout rose et nu, debout sur un nuage, tel un dieu dans son nirvana. Ailleurs, son alter ego miniature brandit une pancarte, recommande les rapports sexuels protégés ou est pendu par les pieds, délicatement sadomaso. On le voit aussi allongé devant un cheval au galop («c'est un rêve puissant que je faisais petit»), face à un serpent tentateur, ou à califourchon sur un ours («le bear est un archétype gay. Je suis moi-même un ours, un costaud avec une barbe»).

L'éclair Bowie. Dans son théâtre de poupées miniatures, Van Beirendonck rend hommage à ses influences, David Bowie notamment, dont il reprend l'œil maquillé de Life on Mars. Car, avant d'être punk, Van Beirendonck, né en 1957, a d'abord été glam, guidé par l'éclair Bowie. Elevé par des parents qui tenaient un garage, le styliste s'est renfermé à l'internat puis s'est ouvert au monde à l'Académie des beaux-arts d'Anvers pour devenir l'un des «Six d'Anvers», génération de stylistes belges qui ont chamboulé la mode dans les années 80. Aujourd'hui indépendant, l'artiste, tel un chaman plein d'humour, puise là où cela lui chante, décloisonne les arts, crée des costumes de scènes pour l'opéra ou pour des stars de la chanson (Stromae, Bono), apparaît en galeries et supervise des expositions où il mixe ses dadas : l'art brut, l'outsider art, le folklore, aussi bien fan de l'artiste américain Paul McCarthy que de la Française Coco Fronsac. Un guerrier à la barbe de sage dont les cris de ralliement font bizarrement penser à des messages d'amour.