«On est tous des raconteurs d'histoires.» Surtout Didier Bezace, raconteur autant que bâtisseur, dont on apprenait mercredi la mort, à 74 ans, des suites d'une longue maladie. L'acteur, metteur en scène, directeur de théâtre charismatique et enflammé, laisse des souvenirs d'interprétation et de mises en scène (de Tabucchi à Duras), mais lègue aussi un bâti, des murs avec une histoire, à une nouvelle génération de spectateurs et d'acteurs. Il y a des artistes qui eurent le feu pour forger des lieux à leur image, à une époque où les théâtres pullulaient. Lui, ce fut le Théâtre de l'Aquarium, un bâtiment abandonné par l'armée, niché sous les arbres de la Cartoucherie de Vincennes, à un sentier et demi du Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine dont il devint le voisin en 1970. L'envie, alors, est moins de créer un refuge pour artistes contestataires qu'un endroit privilégié, autogestionnaire, où inventer un rapport convivial au public, en entendant des œuvres phares du répertoire : Feydeau, Nizan, Sartre, Bourdieu pour poser la couleur (elle est rouge). Le théâtre était pour lui un art du texte, dont il s'agissait toujours d'aller donner les codes de lecture à tous. Une religion qui le poussa à brandir haut les valeurs de la décentralisation théâtrale jusque dans la banlieue, rouge, évidemment, d'Aubervilliers, où il dirigea le Théâtre de la Commune.
Au cinéma, il fut un important second rôle, aussi bien chez Pascale Ferran débutante (Petits Arrangements avec les morts) que chez Bertrand Tavernier (L.627, Quai d'Orsay…) ou Pierre Schoeller dans l'Exercice de l'Etat. Il tourne énormément pour la télévision, où sa prestance et son air énigmatique lui font souvent jouer des juges, des généraux, voire Pompidou, bien qu'il aimât rappeler son inclination personnelle et politique pour les «gens du bas».