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Critique

Turner, la peinture halo

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A Paris, le musée Jacquemart-André présente une sélection saisissante d’aquarelles de jeunesse du peintre anglais, accompagnées de quelques huiles, issues des collections de la Tate Gallery. Où l’on voit poindre déjà sa maîtrise de la lumière et des couleurs.
Coucher de soleil (vers 1845), aquarelle sur papier.  (Photo Tate Images)
publié le 8 juin 2020 à 17h26

Quand les frontières sont fermées, on voyage moins. Pour Turner, c'est pas grave. Son œil devine ses voyages. Du temps des guerres impériales et du blocus continental, il va assez loin déjà dans la lumière, intérieure et extérieure, pour la fondre et traverser. Le passe-muraille, c'est lui. Cette lumière n'impose pas encore assez son règne pour que les couleurs qu'elle produit créent le paysage, comme elles le feront à partir des années 1830. Ce sont, dit-on, ses séjours ultérieurs en Italie qui, comme chez beaucoup de peintres, ont amené sa révolution optique ; qui l'ont conduit à décomposer l'espace dans la lumière, pour le tremper dans cet or qui lui est propre. Cependant, la gaze qu'il dépose avant 1815 sur les paysages anglais, ce soleil de face levant ou couchant, marie d'emblée le geste du peintre avec ce que ces paysages ont de plus profond, de plus éphémère, de plus somptueux, de plus discrètement terrible. Un nuage de lumière sourde s'avance sur leur réalisme poétique et mythologique ; un lointain champignon atomique, qui semble menacer des personnages de Poussin, de Le Lorrain, de Watteau. Bientôt, il défera tout. Comme Enée, Turner va aux enfers, en revient, et c'est le paradis sur terre : un paradis des formes que le soleil éparpille, disperse, suspend, dissout, recompose, comme la vie le fait des sensations et des souvenirs. Dans Turner, peindre le rien, Lawrence Gowing écrit en 1966, à l'occasion d'une mémorable exposition au MoMA : «Il conçoit la