«Mon rapport à l'Arménie est un rapport masculin : c'est par mon père, et par mon grand-père que je suis arménienne.» Rebecca Topakian est née à Vincennes (Val-de-Marne), loin de ce pays aux terres accidentées. Elle grandit avec deux héritages de la diaspora : le basturma, viande de bœuf séchée dans une croûte d'épices, et le lourd passé d'un génocide non réparé. En 2017, elle accompagne pour la première fois sa tante en Arménie, avec l'idée de documenter ce retour aux racines. S'ensuivront deux autres voyages, au cours desquels Rebecca confrontera les images du passé, extraites d'albums de famille, à l'Arménie contemporaine, ses paysages et ses visages.
En filigrane, l'histoire d'amour de ses arrière-grands-parents, Garabed, «roi du basturma» et la princesse Gulizar. Ils tombent amoureux mais, n'étant pas du même milieu social, leurs parents s'opposent à leur union. Une nuit, Garabed serait venu à cheval enlever sa belle. D'où l'envie de la photographe d'explorer la région de manière plus intime, par le prisme du désir et de l'amour. Elle chasse la symbolique, imprime les traits de ses aïeux sur des roches typiques de la région, scrute les visages des hommes croisés, en vrai ou sur Tinder, et cherche en eux un peu de son grand-père : «Les yeux en amande, le nez imposant, le corps poilu.» Pourquoi ? «La société arménienne est patriarcale et sexiste, et chercher ma place dans mon identité arménienne, c'était aussi chercher ma place de femme.» Chaque image est un miroir tendu vers la photographe, un début de réponse.