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Libération
Les modistes (5/6)

Les Callot, de filles en aiguille

L’histoire de la mode regorge de parcours qui ont contribué à la libération du corps de la femme et ont marqué la haute couture. Aujourd’hui, quatre sœurs qui faisaient dans la dentelle.
Créations 1933 - 1935 des Callot.  (photo Boris Linitzki. Roger-Viollet)
publié le 22 juillet 2015 à 17h06

Toutes rousses. Marie, Régina, Marthe et Joséphine (morte à 31 ans) Callot étaient rousses et c'est une bonne entrée en matière pour (re)faire connaissance avec ces créatrices stars de la Belle Epoque puis des années 20, un peu oubliées aujourd'hui. Ces Moires, qui tissent le fil de la vie dans la mythologie, sont nées dans les années 1850 d'un père peintre et marchand de dentelles et d'une mère dentellière. D'où un détour facile mais agréable par leur descendante, Isabelle Huppert - également rousse, et, tiens, à l'affiche de la Dentellière, de Claude Goretta en 1977 -, qui faisait un résumé efficace de la maison de couture de ses aïeules l'an dernier dans Paris Match : « Je suis l'arrière-arrière-petite-fille de Marthe Bertrand, laquelle a fondé en 1895 avec ses trois sœurs, la célèbre maison dite des Callot sœursA l'exception des historiens de mode, ce nom n'éveille pas aujourd'hui l'imaginaire des contemporains, car il n'a pas perduré à l'issue de la crise de 1929, qui s'est révélée fatale à l'entreprise familiale.» C'est vrai, et pourtant leurs modèles, orientalistes ou non, du lamé, des dentelles sublimes, des kimonos brodés, de la soie chinoise… sont conservées dans les plus grandes collections du monde.

«La maison Callot sœurs n'aime pas faire de publicité. Elle n'apparaît jamais dans les réclames des revues, mais les modèles sont souvent portés par des actrices en vue, au théâtre», contrairement à Poiret ou Leferrière, qu'on voit partout, explique Maxime Laprade, auteur d'un mémoire sur Callot sœurs (1).

En 1895, la maison est sise au 24 de la rue Taitbout, une adresse pas très prestigieuse à l’époque où on lui préfère la rue de la Paix. Puis, en 1914, c’est bien un signe de richesse et d’opulence, elle s’installeavenue Matignon etavenue Montaigne : Callot sœurs vivait de son art, était prudente avec les magazines et Marie Gerber, la chef du clan Callot (les quatre sœurs se sont mariées), la créatrice, ne se montre ni au théâtre ni dans les soirées mondaines.

Elle «crée la mode comme Dieu le père créa le monde, loin des indiscrets», écrit en 1920 un chroniqueur du magazine les Modes qui est un des rares à l'avoir interviewée. Une «gravité d'abbesse», dans son salon quasi monacal, raconte-t-il, manifestement impressionné par le personnage qui explique que, sans sa clientèle étrangère, elle pourrait fermer boutique. Pendant la guerre toutes les maisons ont fonctionné à perte pour occuper «leurs gentilles petites ouvrières», comme dit Marie, et ne refont de l'argent qu'à partir de 1919 avec l'exportation. «Nos grandes dames parisiennes sont indispensables pour créer nos modèles», dit-elle, mais enfin on ne vit pas grâce à elles. Et de vitupérer sur les taxes que le gouvernement impose à l'industrie du luxe, tout en rappelant que Callot sœurs fait vivre 30 000 personnes dans ses ateliers, ses fabriques de rubans, de soie, de broderies et de dentelles, évidemment, la marque de fabrique de la maison.

La créatrice ne dessinait pas plus qu'elle ne cousait : elle arrangeait le tissu sur le mannequin et créait son modèle. Sem, auteur mondain et redouté, disait d'elles : «Ce sont des fées qui créent du divin.» Pas tout à fait l'avis de Proust. Dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Elstir conseille Albertine sur ses tenues, fait l'éloge de Paquin, Doucet, Cheruit et Callot, « bien qu'elles fassent un peu trop dans la dentelle». Le reste ne vaut pas d'être porté, selon Proust. Les clientes ne s'y trompent pas, aristocrates, demi-mondaines, femmes d'industriels, prêtes à dépenser entre 2 500 et 3 000 francs et au-delà pour une robe. Parce que les robes Callot sont des petites merveilles, même si lesdites sœurs n'ont jamais été les pionnières de quoi que ce soit : « Elles ne prennent pas de risques, ne révolutionnent rien, analyse Maxime Laprade. Mais elles s'engouffrent avec beaucoup d'ingéniosité et d'art dans les brèches ouvertes par les autres, étant toujours justes, ni en avance ni en retard sur leur temps C'est peut-être pour ça que l'histoire n'a pas autant retenu Marie, Regina, Marthe et Joséphine, que Poiret ou Chanel. Mais elles furent des étoiles de la Belle Epoque, quand la mode n'était pas une histoire de femmes, contrairement aux années 20, où la mode n'est qu'une histoire de femmes.

(1) Haute Couture à la Belle Epoque : la maison Callot sœurs, 1895-1914 de Maxime Laprade, 2014.

A lire, Histoire de la mode de Didier Grumbach (2008).

DEMAIN : PAULINE ADAM