Jean-Pierre Digard est directeur de recherches au CNRS, auteur des Français et leurs animaux, ethnologie d’un phénomène de société (Fayard, réédité en 2005).
Comment a évolué la relation des Français aux bêtes ?
On assiste à une dérive progressive vers la personnification des animaux de compagnie depuis vingt ou trente ans. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. D’abord, la publicité encourage une certaine forme d’anthropomorphisme. Puis la profession de vétérinaire a beaucoup évolué, s’est féminisée. On n’a plus seulement affaire à des fils d’agriculteurs qui nourrissent une conception assez traditionnelle de l’animal, comme animal de ferme. Enfin, la société française est devenue plus citadine, et donc plus éloignée des animaux et des racines paysannes. Par ailleurs, le nombre d’animaux de compagnie a augmenté et s’est diversifié (furets, rats, lapins, voire mygales…)
Comment se situe la France par rapport à d’autres pays sur cette question ?
On va beaucoup moins loin que dans certains pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le Japon (où le vernis à ongles est courant, par exemple), qui s’inspirent pourtant des évolutions en Europe occidentale et en Amérique du Nord, mais sont plutôt dans la surenchère.
Quand peut-on dire que cela va trop loin ?
Parler à son animal est quelque part une forme douce d'anthropomorphisme. Ça devient grave en revanche de penser qu'il comprend. Je me souviens de cette dame que j'ai vue dans une boutique spécialisée acheter un cadeau d'anniversaire à son chien et dire aux vendeurs : «Ne parlez pas trop fort, je veux qu'il ait la surprise.» Qui plus est, prendre son chien pour un enfant relève, à mes yeux, d'une certaine forme d'autisme social qui est le symptôme d'une incompétence à communiquer avec ses semblables.
Que dit notre rapport aux animaux de notre société ?
L’animal est en quelque sorte un miroir : on l’aime pour l’image qu’il renvoie de nous. Il est toujours content de nous voir, remue la queue… Quoi de plus valorisant ? Il a aussi un rôle de faire-valoir : un cadre n’aura pas le même chien qu’un caïd de banlieue. Enfin, il y a cette notion «d’animal rédempteur» : aimer exagérément un animal de compagnie nous déculpabilise de ceux que l’on élève pour les tuer et les manger.