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«C’était géré d’une main de fer, je me suis dit : j’y vais»

Pierre, 24 ans, à Quiévrechain. Dans son casque : Balavoine, Mon fils, ma bataille. Dans son bureau : un portrait de De Gaulle.
publié le 24 juillet 2015 à 20h41

«J'ai eu une double image de la vie : celle de mes grands-parents ouvriers et, comme ils ont tenu à me mettre en école privée, celle des gens de bonne famille de Valenciennes. Je suis né à Mulhouse, j'ai grandi à Quiévrechain, dans le Nord-Pas-de-Calais, élevé par mes grands-parents. Ma mère travaillait pour Carrefour, mon père dans la pépinière, ils faisaient six heures de route pour venir me voir le week-end. Un jour je me suis dit : le maire est là depuis trente-sept ans, personne ne participe aux décisions et on trouve ça normal. C'était géré d'une main de fer. Je me suis dit : j'y vais. On passe à la méthode forte : on fait une réunion publique. Je voulais dire : "Bonjour, je m'appelle Pierre Griner, j'ai 23 ans, je veux être votre maire. Donnez-nous les clés, on va vous démontrer qu'on fera le meilleur." On a cotisé pour faire un petit buffet gratuit, on a installé la sono. Le lendemain les gens de la commune me disaient : "C'est honteux ce que tu as fait au maire… Tu te prends pour qui ? T'es un petit con, c'est pas respectueux." Mais on a lancé la vidéo sur Internet pour prouver qu'on n'avait pas dépassé les bornes. Je sentais qu'on allait gagner, mais 60 %, c'était fou (1). Les réunions pendant la campagne c'était chez Baba, ma grand-mère, dans le salon. Elle n'avait plus sa carte d'électeur depuis trente ans. Je lui ai dit : "Tu ne vas pas voter pour ton petit-fils ?" Et elle a refait ses papiers. Eux, ils ont connu la période faste de la commune, et puis à la fin des années 70, sur 3 000 emplois, 2 500 ont disparu. La misère a commencé. De toute façon il faut être réaliste : moi, ici, on me dit "dans deux ans, c'est Marine". Pour des choses bêtes. Les jeunes qui font du moto-cross sauvage, on m'a volé ma voiture, etc. Ça énerve les gens. J'ai une grosse crainte. Moi je me sens plutôt à gauche de la droite. J'avais ma carte à l'UMP. Mais le côté bling-bling de Sarkozy m'a déçu. Je gagne 1 900 euros par mois. Si, à 20 ans, on n'est pas révolutionnaire, on n'est pas droit dans nos bottes, on ne le sera jamais.»

(1) Le 23 mars 2014, Pierre Griner a battu Michel Lefebvre, PCF, de cinquante ans son aîné avec 60 % des suffrages.